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IIme CONGRÈS DE PHILOSOPHIE — GENÈVE

bonté, puissance, énergie, ou les particules comme, parce que, quand, etc., suppose les mêmes conditions que l’autre, avec cette différence qu’elle suppose, outre les hypothèses sur la durée et l’identité des objets, d’autres hypothèses bien plus complexes. Toutes les abstractions supérieures, comme énergie, puissance, bonté, vie, âme, ont ce caractère que chacune d’elles est une dénomination pour un certain nombre de choses individuelles, concrètes, mais qui n’ont d’existence que par une hypothèse. Seulement ici, les choses individuelles et concrètes sont invisibles.

Quand on dit que l’abstraction crée l’unité, on dit quelque chose d’ambigu ; car l’abstraction ne crée Jamais une unité dans le sens strict et numérique du mot. C’est à l’hypothèse seule que revient la fonction de créer des unités nouvelles. Quand, par exemple, les anciens ont dit que le λόγος, la Raison, est une et la même partout, chose divine et surhumaine, alors ils n’ont pas trouvé cette raison par voie d’abstraction, ils l’ont créée comme unité numérique et individuelle par voie d’hypothèse. On peut dire que tout le travail intellectuel humain se fait par ces deux facteurs principaux : l’abstraction ou dénomination qui ne sert qu’à systématiser et organiser les perceptions concrètes, et l’hypothèse qui est en jeu partout où une unité nouvelle quelconque est conçue.

La nature tout à fait concrète et individuelle de la plupart des hypothèses étant donnée, on se demande peut-être s’il n’y a pas aussi des hypothèses abstraites. Dans la forme, dans la formule, oui sans doute ; mais si, à travers la forme, on regarde le noyau, non ; toute hypothèse se rapporte à des choses individuelles. Pour éviter toute confusion on laissera au mot hypothèse tout l’usage qu’on peut lui souhaiter, et on appellera projection la forme d’hypothèse qui crée des unités individuelles dépassant le cercle de l’expérience vécue (la vie psychique des autres, la durée continue des choses).

Étant admis ce qui précède, il s’ensuit que l’abstraction n’est que la forme extérieure du travail intellectuel, dont la vraie substance est dans l’activité de l’imagination créatrice par laquelle seule toute unité réelle est conçue. Dans l’histoire de la philosophie et des sciences, on distinguera toujours les abstractions nouvelles, qui ne comportent qu’une nouvelle systématisation des choses connues, et les hypothèses nouvelles, les projections, qui seules peuvent dévoiler de la réalité nouvelle, étant donné que toute réalité est individuelle et composée d’unités numériques.