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E. CHARTIER. — Vers le positivisme absolu par l’idéalisme.

prouve en se montrant[1]. Si donc M. Weber se refuse à soustraire les catégories au changement continuel par lequel le savoir se réalise[2], du moins il n’oublie pas que les catégories sont des idées, et que le devenir propre des idées n’enlève rien de la précision et de la rigueur qu’elles conservent à chaque instant. M. Weber voit les idées en mouvement non comme un fluide qui s’écoule, mais comme un édifice cristallin en formation, où tout s’ordonne de mieux en mieux, selon une nécessité de plus en plus intelligible[3]. Ce qu’il veut, ce n’est done pas substituer aux idées et à la Raison je ne sais quelles rèveries mystiques ; il veut ruiner l’idée d’une philosophie séparée de la science, et d’une Raison séparée de ses œuvres. En cela il est dans le vrai. S’il ne s’est pas toujours assez clairement expliqué sur ce point, la cause en est dans l’extrême difficulté du sujet. Il s’agissait de supprimer les différences entre l’idée et le fait, entre la pensée et son objet, que le sens commun établit, et que tant de philosophes à courte vue s’efforcent de maintenir. Toutefois peut-être M. Weber aurait-il mieux fait comprendre sa pensée si, étant parti d’abord d’une analyse plus complète de la perception, il avait enfin montré, comme terme du savoir, la perception encore. Car ce n’est pas si simple, de voir une bille rouler sur un plan incliné, ou un aviateur s’élever dans les airs ; il y faut la géométrie, la mécanique, la physique en raccourci ; et l’ignorant ne voit au monde que des épisodes, des apparitions, des miracles. Aussi, de même que percevoir c’est déjà savoir, comprendre, construire, on peut dire que mieux savoir, c’est en définitive mieux construire, mieux comprendre telle chose particulière dans le monde, c’est-à-dire mieux percevoir. C’est par des analyses de ce genre que nous pourrions, complétant le beau livre de M. Weber, arriver à comprendre de mieux en mieux comment la Raison et la Nature se confondent dans la réalité unique du Savoir en acte. Par là nous serions Hegeliens, nous serions Spinozistes aussi, Aristotéliciens si l’on veut, idéalistes assurément, et sans doute aussi positivistes comme il faut l’être. Ce qui importe, c’est que

  1. V. p. 159 et notamment au sujet de la Causalité. page 194.
  2. P. 375.
  3. « Le flux désordonné des perceptions, qui serait la réalité antérieure à la causalité est un indicible chaos, auquel aucune catégorie ne convient, auquel l’affirmation simple de l’être ne saurait même être appliquée » (p. 194). — * Cataloguer les vérités synthétiques sous l’étiquette contingence, c’est avouer qu’elles sont inintelligibles, illogiques, et c’est se rendre aux sceptiques » (p. 366).