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revue de métaphysique et de morale.

toire aux œuvres littéraires, pour connaître les œuvres du passé dans le passé, et en tant que passé. Il est agréable, il est utile, il est sain de rechercher ce que les chefs-d’œuvre recèlent toujours de sens et de plaisir pour nous, et je ne détournerai personne de se donnera lui-même cette joie élevée. Mais la tâche propre et principale de l’Histoire littéraire est de ne point juger les œuvres par rapport à nous, selon notre idéal et nos goûts, d’y découvrir ce que leur auteur a voulu y mettre, ce que leur premier public y a trouvé, la façon réelle dont elles ont vécu, agi dans les intelligences et les âmes des générations successives. Ce travail de séparation de l’actuel et du passé, du subjectif et de l’historique suffît à l’activité des historiens littéraires. Il comporte, outre la lecture et l’analyse interne des œuvres, une masse de recherches autour des œuvres, l’emploi de toutes sortes de documents et de faits par lesquels s’éclairent la personnalité véritable et le rôle historique d’un livre, et qui ont pour effet de le détacher de nous, de le retirer de notre vie intérieure où la simple lecture l’a souvent mêlé.

Quand nous aurons fait notre tâche convenablement, rien n’empêchera les sociologues, s’ils veulent, d’y venir quêter ce qui sera à leur usage. Nous n’avons pas à nous occuper d’eux ; mais nous leur rendons pourtant service en leur fournissant des matériaux bien préparés, c’est-à-dire des faits vérifiés, des rapports exacts. À eux de s’en servir, et de se tenir au courant de nos résultats, — un peu plus qu’ils ne font souvent. Une des choses qui rendent le philologue ou l’historien littéraire parfois un peu sceptique sur l’œuvre sociologique, c’est de voir combien nombre de sociologues sont peu difficiles sur les matériaux qu’ils nous prennent : hypothèses vieillies, faits peu sûrs, ils ne rejettent rien, pourvu que cela cadre avec leurs vues générales, et leur érudition est en retard parfois d’un demi-siècle. Il n’est plus permis aujourd’hui, par exemple, de donner la théorie wolfienne de l’origine des poèmes homériques pour une vérité historique, alors que les philologues et historiens de la littérature, en ces derniers temps, l’ont battue en brèche et, pour le moins, fortement endommagée : cependant on la trouve encore alléguée en sociologie comme si elle était au-dessus de toute discussion.

Cette attitude à l’égard de la sociologie que je viens de définir, l’histoire politique, ou religieuse, ou économique pourrait la prendre. Voici qui est plus particulier à nos études. On s’accorde aujour-