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est au livre même quelque chose comme ce qu’est la légende au fait historique : la légende nous instruit moins sur le fait que sur les hommes qui l’ont formée, reçue et développée.

On peut voir dans la récente étude de M. Baldensperger sur Gœthe en France comment l’histoire de l’influence de Gœthe en notre pays est à peu près stérile en résultats pour l’intelligence de Gœthe, mais en revanche nous instruit des dispositions, des aspirations des générations d’esprits qui se sont succédé en France. Ne suffisait-il pas de regarder la littérature française, qui doit porter ces marques avec plus d’évidence encore ? Non ; ces influences étrangères nous renseigneront utilement sur la puissance de certains besoins, puisqu’ils déforment et transforment Gœthe ; sur leur naissance aussi, puisque souvent c’est par l’appel et l’usage des œuvres étrangères qu’ils se révèlent, quand la création d’œuvres originales ne leur est pas encore possible ou permise.

Mais il n’est pas besoin de recourir à l’étude des influences étrangères. Regardons chez nous : regardons Montaigne. Il a été — nous n’avons pas de raison d’en douter — un catholique sincère et soumis. Il a été sceptique, parce que la science de son temps était tâtonnante, embryonnaire, et sans méthode ; sceptique aussi, parce qu’il concevait que l’homme n’atteint que des vérités relatives, et qu’il se faisait encore une idée théologique de la vérité, l’idée d’une vérité absolue, éternelle, immuable : il s’est cru sceptique, parce qu’il ne trouvait rationnellement que des vérités relatives. Mais de ces certitudes relatives, il en a eu assez pour faire ce qui serait aujourd’hui tout l’opposé d’un sceptique. Il a conçu l’expérience et la raison comme les moyens de la connaissance scientifique ; il a marqué le domaine de la science, la recherche des effets et de leurs liaisons ; il a, réservant le domaine religieux, rejeté toute autorité et donné à la pensée une liberté entière. Il a affirmé sans scrupule et sans réserve les sentiments moraux, conscience, justice, humanité ; il n’a jamais été sceptique ou dilettante dans la morale pratique. Les Essais sont le livre d’un homme qui vit en 1570, qui a vu le travail de la Renaissance et qui est témoin de l’horreur des guerres civiles.

    surgissent de l’ombre : mais pourquoi dans cet ordre ? et ce choix ? Pourquoi celui-ci à tel moment ? et celui-ci seul ? Le choix et l’ordre des sens seront la part de collaboration du public. Mais il peut y avoir aussi suppression ou invention des sens. Ainsi Chénier romantique, c’est le romantisme du lecteur révélé par sa réaction en présence de Chénier ; etc.