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G. LANSON.Droit du père de famille et droit de l’enfant.

Mais on n’a pas démontré du tout que sans ce droit de cession, le droit du père ne pouvait subsister. On n’a même pas démontré que le droit du père comprit un droit de cession : c’est fort contestable. Le droit du père de veiller journellement à la formation intellectuelle et morale de ses enfants est évident. Exercer ce droit est un devoir pour lui. S’il en est ainsi, on peut douter qu’il ait le droit de se démettre, d’abdiquer sa fonction de père. En tout cas, il ne peut transmettre son droit. La relation de père à enfant est une relation singulière, personnelle, incessible parce que intransportable. Le droit fondé sur cette relation est également intransportable et incessible. L’enfant est une personne morale : on ne peut le céder, ni céder le lien moral qui l’attache à son père.

En déléguant un étranger à l’éducation de ses enfants, le père ne le met pas réellement à sa place. Et si l’État, respectant la relation qui unit l’enfant au père, ne s’interpose pas entre eux, s’il laisse et doit laisser le père juge en sa conscience de l’éducation, des suggestions, des habitudes que par son action directe et personnelle il transmet à son enfant, la situation n’est plus la même quand le père se substitue un étranger. Alors l’État a le droit de dire son mot, il a le droit de poser des conditions à cette substitution, et de prendre des garanties, pour que, dans ce transport d’autorité, le droit de la personne morale qu’est l’enfant soit préservé. En fait donc, il n’y a pas de conflit entre le père de famille et l’État, tant que le père de famille exerce lui-même son droit : le conflit est entre l’État et l’Église, qui veut que le père de famille puisse toujours lui céder son droit, sans que l’État ait rien à y voir.

On voit maintenant d’où vient la difficulté dans la définition du droit du père de famille. Elle n’est pas moindre, en un autre sens, dans la définition du droit de l’enfant. J’en distingue deux formules nettes, également insoutenables.

Je crois pour ma part, disait éloquemment M. Lintilhac, que l’État a respecté ce droit, autant que possible, quand il a laissé au père le domaine du sentiment pour exercer sa tendresse ; et aussi le domaine entier de la foi, pour lui transmettre la sienne, si bon lui semble….

Mais dans le domaine de l’enseignement l’État intervient souverainement à l’occasion, et se dressant devant le père comme les lois devant Socrate qui les entendit, lui ! il lui dit : « Halte-là ! ta liberté finit où celle de ton enfant commence. Je t’interdis donc de lui gâter par avance la vie publique