Page:Revue de métaphysique et de morale - 13.djvu/831

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
821
H. POINCARÉ.LES MATHÉMATIQUES ET LA LOGIQUE.

Mais, sans sortir des mathématiques pures, mi rencontre encore la même difficulté.

Vous donnez du nombre une définition subtile ; puis, une fois cette définition donnée, vous n’y pensez plus ; parce qu’en réalité, ce n’est pas elle qui vous a appris ce que c’était que le nombre, vous le saviez depuis longtemps, et quand le mot nombre se retrouve plus loin sous votre plume, vous y attachez le même sens que le premier venu ; pour savoir quel est ce sens et s’il est bien le même dans telle phrase ou dans telle autre, il faut voir comment vous avez été amené à parler de nombre et à introduire ce mot dans ces deux phrases. Je ne m’explique pas davantage sur ce point pour le moment, car nous aurons l’occasion d’y revenir.

Ainsi voici un mot dont nous avons donné explicitement une définition  ; nous en faisons ensuite dans le discours un usage qui suppose implicitement une autre définition . Il est possible que ces deux définitions désignent un même objet. Mais qu’il en soit ainsi, c’est une vérité nouvelle, qu’il faut, ou bien démontrer, ou bien admettre comme un axiome indépendant.

Nous verrons plus loin que les logiciens n’ont pas mieux rempli la seconde condition que la première.

VI

Les définitions du nombre sont très nombreuses et très diverses ; je renonce à énumérer même les noms de leurs auteurs. Nous ne devons pas nous étonner qu’il y en ait tant. Si l’une d’elles était satisfaisante, on n’en donnerait plus de nouvelle. Si chaque nouveau philosophe qui s’est occupé de cette question a cru devoir en inventer une autre, c’est qu’il n’était pas satisfait de celles de ses devanciers, et s’il n’en était pas satisfait, c’est qu’il croyait y apercevoir une pétition de principe.

J’ai toujours éprouvé, en lisant les écrits consacrés à ce problème, un profond sentiment de malaise ; je m’attendais toujours à me heurter à une pétition de principe et, quand je ne l’apercevais pas tout de suite, j’avais la crainte d’avoir mal regardé.

C’est qu’il est impossible de donner une définition sans énoncer une phrase, et difficile d’énoncer une phrase sans y mettre un nom de nombre, ou au moins le mot plusieurs, ou au moins un mot au