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L. COUTURAT.Pour la Logistique.

procédé rigoureux qui engendre la certitude. Si donc l’inférence qu’on tire des raisonnements déjà faits aux raisonnements futurs n’a qu’une valeur prubable (comme le constate le bon sens, ce « sûr instinct « auquel M. Poincaré se rapporte), elle repose sur une induction pure et simple, et non sur le principe de l’induction mathématique.

IV

Quoi qu’il en soit de la question générale de savoir si une définition exige ou non la démonstration de l’existence de son objet, et comment on peut ou doit démontrer cette existence, M. Poincaré commet une erreur matérielle, quand il reproche à M. Russell de n’avoir donné aucune démonstration de l’existence des nombres entiers[1]. Et d’abord, je constate que M. Poincaré a constamment en vue la définition par postulats (qui est celle de M. Peano), et ne tient aucun compte de la définition nominale que M. Russell lui substitue. La phrase de moi qu’il cite à ce sujet : « Cette définition n’assure ni l’existence ni l’unicité de l’objet défini » s’applique uniquement à la définition par postulats ; elle précède et prépare dans mon exposé la définition nominale. J’avoue avoir négligé de montrer que cette dernière permet d’établir l’existence logique des nombres entiers, parce que cette existence me paraissait à peu près évidente. Mais M. Poincaré se trompe en imputant la même négligence à M. Russell, justement parce qu’il croit que je l’ai « suivi pas à pas ». Sans doute, j’aurais mieux fait de, suivre pas à pas mon modèle ; mais alors ce n’est plus une analyse, mais une traduction que j’aurais faite ; cela eût peut-être mieux valu pour tout le monde. Quoi qu’il en soit, je vais réparer mon omission (et le tort involontaire que j’ai fait à M. Russell) en citant ou résumant ici les principaux passages où il démontre l’existence des nombres entiers.

Car s’il y a un reproche que M. Russell ne mérite pas, d’une manière générale, c’est celui de négliger les théorèmes d’existence. sa Préface, au contraire, ce souci se manifeste expressément : « La nécessité d’établir le théorème d’existence dans chaque cas (c’est-à-dire la preuve qu’il y a des entités de l’espèce en question)

  1. « J’aurais voulu réfuter ta démonstration de MM. Russell et Couturat. Ce qui m’en empêche, c’est que cette démonstration n existe pas », déclare catégoriquement M. Poincaré (p. 834).