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SULLY PRUDHOMME. psychologie du libre arbitre.

Le long recensement que je viens de faire de cas où l’esprit humain, outrepassant les limites du monde accidentel, qui est le champ de la double expérience externe et interne, rencontre l’objet métaphysique, ce recensement met en relief la diversité, par suite l’incertitude des opinions et le caractère contradictoire des concepts et des jugements formés sur la nature intime de cet objet. Il ressort également des nombreux exemples cités que la raison humaine est avertie de ses bornes par cette incertitude et cette contradiction et n’est pas en droit d’en conclure que la chose incertaine, affirmée et niée en même temps par elle, n’existe pas.

Interprétation des jugements contradictoires.

Puisque l’esprit humain est exposé à former des concepts ou formuler des jugements contradictoires sur des choses qui n’en existent pas moins, et par suite à en nier faussement la réalité, il importe au plus haut degré de définir exactement ce qui distingue ces choses de celles où il ne court pas ce risque, où il peut concevoir et raisonner en toute sécurité, c’est-à-dire ce qui distingue les données métaphysiques des données qui sont de son ressort. Si cette distinction n’était pas possible à faire sûrement, le principe de contradiction, fondement de la logique, serait fallacieux et aucune connaissance ne trouverait en lui un contrôle certain. La règle pour ce discernement est la suivante : est métaphysique toute donnée reconnue inaccessible soit aux sens, soit à la conscience, soit à l’observation externe, soit à l’observation interne. Cette règle du même coup assigne leur objet aux sciences positives ; une science n’est positive qu’à la condition de ne viser que des rapports. Nous entendons cependant les savants parler de substratum, de matière, d’atomes, de molécules, d’énergie, de forces, etc.. mais il n’en faudrait pas pour autant inférer qu’ils font de la métaphysique. Il n’y a pas de rapports sans termes et les termes en sont tous directement ou indirectement métaphysiques. Ils le sont indirectement dans l’expression algébrique par exemple, qui représente un rapport fractionnaire dont les termes sont eux-mêmes des rapports (de multiplication) ; mais les signes représentent, en dernière analyse, des mesures de données concrètes dont la nature intime est méta-