Page:Revue de métaphysique et de morale - 2.djvu/31

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
19
F. RAVAISSON.de l’habitude.

vient à cesser, le sommeil cesse. Le repos, le silence réveille. C’est donc que le bruit et le mouvement ne provoquent le sommeil qu’en développant dans les organes des sens une sorte d’activité obscure qui les monte au ton de la sensation, qui la détruit par cela même, mais qui en fait un besoin pour la sensibilité. Dès que la cause de la sensation vient à disparaître, le besoin se manifeste par l’inquiétude et le réveil. Ainsi c’est par le développement progressif d’une activité interne que s’explique l’affaiblissement progressif de la passivité.

D’un autre côté, le mouvement implique la passion ; l’action dans la cause, la passion dans le sujet du mouvement, qui subit l’action de la cause. Si donc le mouvement, à mesure qu’il se répète, se change de plus en plus en un mouvement involontaire, ce n’est pas dans la volonté, c’est dans l’élément passif du mouvement lui-même, que se développe peu à peu une activité secrète. Ce n’est pas l’action proprement dite que fait naître ou que fortifie la continuité ou la répétition de la locomotion ; c’est une tendance toujours plus obscure et irréfléchie, qui descend de plus en plus avant dans l’organisme, et s’y concentre de plus en plus. L’habitude n’exerce qu’une influence indirecte sur les actes simples de la volonté et de l’intelligence, en abaissant devant elles les obstacles, et en leur assujettissant les moyens.

Ce n’est pas non plus l’activité véritable, que ce désir qui s’allume dans le sens, à mesure que la sensation s’éteint, et qui ne se révèle que par ses effets. C’est une tendance aveugle tenant de la passion autant que de l’action.

Ainsi, la continuité ou la répétition abaisse la sensibilité ; elle exalte la motilité. Mais elle exalte l’une et elle abaisse l’autre de la même manière, par une seule et même cause : le développement d’une spontanéité irréfléchie, qui pénètre et s’établit de plus en plus dans la passivité de l’organisation, en dehors, au-dessous de la région de la volonté, de la personnalité et de la conscience.

L’affaiblissement graduel des sensations et la facilité croissante des mouvements s’expliqueraient peut-être, à force d’hypothèses, par quelque changement (que l’anatomie ne démontre pas) dans la constitution physique des organes[1]. Mais aucune modification organique

  1. Cf. Isaac, De consuetudine ejusque effectibus ex fibra sensim mutata ducendis (Erfordiæ, 1737, in-4).