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revue de métaphysique et de morale.

une vaine fatigue pour l’esprit, pour qu’elle puisse servir de marchepied à qui veut s’élever plus haut, il faut d’abord qu’elle possède une sorte d’unité, qui permette d’y voir autre chose que la juxtaposition de ses éléments.

Ou plus exactement, il faut qu’on trouve quelque avantage à considérer la construction plutôt que ses éléments eux-mêmes.

Quel peut être cet avantage ?

Pourquoi raisonner sur un polygone par exemple, qui est toujours décomposable en triangles, et non sur les triangles élémentaires ?

C’est qu’il y a des propriétés appartenant aux polygones d’un nombre quelconque de côtés et qu’on peut appliquer immédiatement à un polygone particulier quelconque. Le plus souvent, au contraire, ce n’est qu’au prix des plus longs efforts qu’on pourrait les retrouver en étudiant directement les rapports des triangles élémentaires.

Si le quadrilatère est autre chose que la juxtaposition de deux triangles, c’est qu’il appartient au genre polygone.

Une construction ne devient intéressante que quand on peut la ranger à côté d’autres constructions analogues, formant les espèces d’un même genre.

Encore faut-il qu’on puisse démontrer les propriétés du genre sans être forcé de les établir successivement pour chacune des espèces.

Pour y arriver il faut nécessairement remonter du particulier au général, en gravissant un ou plusieurs échelons.

Le procédé analytique « par construction » ne nous oblige pas à en descendre ; mais il nous laisse au même niveau.

Nous ne pouvons nous élever que par l’induction mathématique qui seule peut nous apprendre quelque chose de nouveau. Sans l’aide de cette induction différente à certains égards de l’induction physique, mais féconde comme elle, la construction serait impuissante à créer la science.

Observons en terminant que cette induction n’est possible que si une même opération peut se répéter indéfiniment. C’est pour cela que la théorie du jeu d’échec ne pourra jamais devenir une science, puisque les différents coups d’une même partie ne se ressemblent pas.

H. Poincaré.