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revue de métaphysique et de morale.

la répétition ou la continuité rend l’activité morale plus facile et plus assurée. Elle développe dans l’âme non seulement la disposition, mais le penchant et la tendance actuelle à l’action, comme dans les organes la tendance au mouvement. Enfin, au plaisir fugitif de la sensibilité passive, elle fait par degrés succéder le plaisir de l’action.

Ainsi se développent de plus en plus, dans le cœur de celui qui fait le bien, et à mesure que l’habitude y détruit les émotions passives de la pitié, l’activité secourable et les joies intérieures de la charité[1]. Ainsi, l’amour s’augmente par les témoignages mêmes qu’il donne de soi[2] ; ainsi, il ranime de sa flamme pénétrante les impressions qui s’éteignent, et rouvre à chaque instant les sources épuisées de la passion.

Enfin, dans l’activité de l’âme, comme dans le mouvement, l’habitude transforme peu à peu en un penchant involontaire la volonté de l’action. Les mœurs, la moralité, se forment de cette sorte. La vertu est d’abord un effort, une fatigue ; elle devient par la pratique seule un attrait et un plaisir, un désir qui s’oublie ou qui s’ignore, et peu à peu elle se rapproche de la sainteté de l’innocence. Là est tout le secret de l’éducation. Son art, c’est d’attirer au bien par l’action, et d’y fixer le penchant[3]. Ainsi se forme une seconde nature.

Dans le sein de l’âme elle-même, ainsi qu’en ce monde inférieur qu’elle anime et qui n’est pas elle, se découvre donc encore comme la limite où le progrès de l’habitude fait redescendre l’action, la spontanéité irréfléchie du désir, l’impersonnalité de la nature ; et ici encore c’est la spontanéité naturelle du désir qui est la substance même, en même temps que la source et l’origine première de l’action.

Le monde moral est par excellence l’empire de la liberté. C’est elle-même qui s’y propose sa fin, qui se commande et qui exécute l’action. Mais, de même que dans le mouvement, si c’est la volonté qui pose le but dans l’espace, et détermine la direction, ce n’est pas elle, ou du moins ce n’est pas la volonté réfléchie qui combine et concerte par avance la production même du mouvement, et que le mouvement ne peut sortir que du fonds de l’instinct et du désir, où l’idée de la nature se fait être et substance ; de même, dans le monde

  1. Butler, Analogie. Dug. Stewart.
  2. Aristot., Eth. Nicom., VIII, 9 ; IX, 7.
  3. Aristot., Polit., VIII ; Eth. Nicom., X, 10.