Page:Revue de métaphysique et de morale - 28.djvu/525

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la famille, la propriété, l’organisation politique, morale, juridique, économique, des peuples européens, il est indispensable d’avoir étudié dans le passé cette multitude d’institutions et de pratiques, d’avoir cherché la manière dont elles ont varié dans l’histoire, les principales conditions qui ont déterminé ces variations, et c’est seulement alors qu’il sera possible de se demander rationnellement ce qu’elles doivent devenir aujourd’hui, étant données les conditions présentes de notre existence collective. Or toutes ces recherches sont encore dans l’enfance. Plusieurs sont à peine entreprises ; les plus avancées n’ont pas encore dépassé une phase très rudimentaire. Et comme, d’autre part, chacun de ces problèmes est un monde, la solution n’en peut être trouvée en un instant, par cela seul que le besoin s’en fait sentir. Les bases d’une induction méthodique concernant l’avenir, surtout d’une induction d’une telle étendue, ne sont pas données. Il faut que le théoricien les construise lui-même. Le socialisme n’en a pas pris le temps ; peut-être même peut-on dire qu’il n’en avait pas le temps.

Voilà pourquoi, à parler exactement, il ne peut y avoir de socialisme scientifique. C’est que, un tel socialisme fût-il possible, des sciences seraient pour cela nécessaires qui ne sont pas faites et qui ne peuvent pas être improvisées. La seule attitude que permette la science en face de ces problèmes, c’est la réserve et la circonspection, et le socialisme ne peut guère s’y tenir, sans se mentir à soi-même. En fait, il ne s’y est pas tenu. Voyez même l’œuvre la plus forte, la plus systématique, la plus riche en idées qu’ait produite l’École : le Capital de Marx. Que de données statistiques, que de comparaisons historiques, que d’études seraient indispensables pour trancher l’une quelconque des innombrables questions qui y sont traitées ! Faut-il rappeler que toute une théorie de la valeur y est établie en quelques lignes ? La vérité, c’est que les faits et les observations ainsi réunis par les théoriciens soucieux de documenter leurs affirmations ne sont guère là que pour faire figure d’arguments. Les recherches qu’ils ont faites ont été entreprises pour établir la doctrine dont ils avaient eu antérieurement l’idée, bien loin que la doctrine soit résultée de la recherche. Presque tous avaient leur siège fait avant de demander à la science l’appui qu’elle pouvait leur prêter. C’est la passion qui a été l’inspiratrice de tous ces systèmes ; ce qui leur a donné naissance et ce qui fait leur force, c’est la soif d’une justice plus