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COUP-D’ŒIL

rope entière. Depuis le treizième siècle, elle luttait sans relâche contre les Moscovites, les Tartares et les Turcs, et chaque victoire remportée sur ces barbares assurait le repos des autres peuples chrétiens. Jagellon, Tarnowski, Bathory, Zamoyski, et surtout ce Czarnieçki, « que rien ne pouvait ni fatiguer ni abattre, plus terrible que jamais lorsqu’il était vaincu, comme le taureau irrité par sa blessure, » tous ces guerriers célèbres ne le cédaient à Sobieski, ni en talens ni en vaillance. Telle était alors la puissance de nos armes, que l’Europe ne sentait pas même le danger qui la menaçait ; à peine savait-elle que nous combattions pour sa défense. « Depuis cinquante ans, écrivait Melanchton, la Pologne garde l’Allemagne et la Pannonie contre le voisinage de la sauvage Asie… Puissent la religion, les arts et les sciences, fleurir long-temps chez cette nation magnanime…[1] » L’admiration de M. de Salvandy pour son héros nous paraît donc poussée trop loin. Jean n’emporta pas en mourant les regrets de sa patrie, comme il excita ceux de l’Europe. Grand dans la guerre, il ne fut pas toujours grand dans la paix. En vain M. de Salvandy veut-il prouver qu’incapable d’ambition, Sobieski ne songeait d’abord qu’à frayer la route du trône au prince de Condé. Tel n’est pas le jugement du savant Lelevel. « Le roi Michel, dit Lelevel, n’a pas manqué de nobles qualités pour régner ; mais telle fut l’envie que les grands (Sobieski et le Primat) portaient à son bonheur et son élévation, qu’il n’a pu réussir à être aussi bon roi qu’il l’aurait été, sans la haine de quelques méchans sujets. » Sobieski fut accablé à son tour d’une opposition haineuse de la part de ses concitoyens ; mais quel droit aurait-il eu de se plaindre de la désobéissance, « celui qui faisait brûler au milieu de son armée un libelle royal, et qui lançait des manifestes où il taxait son roi de trahison, » ce roi qui poussa l’oubli des

  1. De Origine gentis hencticœ.