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PROJETS DE LA RUSSIE.

changement ? C’est ici que commence la diversité des opinions.

Et d’abord il faut réfuter la plus générale, que nous croyons erronée, quoiqu’émise par des publicistes d’un grand mérite, et qui semble avoir obtenu, en France surtout, beaucoup de crédit. Ils ont dit que « plus la Russie s’étendait, moins on devait la craindre, et que la faiblesse suivrait bientôt un développement hors de proportion avec les limites dans lesquelles un grand empire doit raisonnablement se renfermer. » Ce raisonnement serait fondé, si cet état, formant au loin des colonies séparées de la métropole par des possesseurs intermédiaires, était obligé d’épuiser le centre pour peupler les extrémités, et morcelait sa puissance en la divisant sur des portions de territoire sans liaison entr’elles. Mais la Russie ne commet pas cette faute, qui fut l’une des causes de la dissolution du grand empire romain. La chaîne qui part du foyer de l’empire n’est jamais interrompue ; elle enveloppe dans ses vastes anneaux le pays entier sur lequel on juge nécessaire de l’étendre, sans fraction, sans jamais rien laisser derrière soi. À chaque pas que fait la Russie, toujours proportionné à ses formes colossales, elle s’arrête, s’organise militairement, et ne repart de là que quand sa conquête est devenue sous tous les rapports, partie homogène de cette masse compacte qui s’avance tout d’une pièce, tantôt sur l’Europe, tantôt sur l’Asie. Loin de l’affaiblir, ses nouveaux domaines la fortifient, parce que chacun d’eux devient successivement un nouveau rempart dont la population, exercée aux armes et rien qu’à cela, est le premier gardien.

Tel est le plan qui, depuis cent ans, a été suivi avec une admirable persévérance et une habileté peu commune. Cette politique, qui se trouve tracée en caractères si remarquables dans les instructions données en 1785 au prince Potemkin, par lesquelles il était autorisé à accepter la soumission de toutes les nations qui désiraient devenir sujettes de la Russie, en leur