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GUERRE D’ORIENT.

milieu de populations irritées[1], et peu assuré peut-être sur la fidélité des siens, l’empereur s’était retiré à bord de ses vaisseaux. Dans la nuit du 9 octobre, un chef musulman se présente au camp des Moscovites. Ennemi particulier d’Omer-Vrione, Youssouf-Pacha n’avait pu voir sans humeur que le grand-visir eût choisi son rival pour délivrer Varna. Youssouf trahit lâchement sa foi, son maître, sa patrie, et ternit dans un seul moment l’éclat d’une vie glorieuse[2]. Quand le soleil parut, les habitans de Varna se réveillèrent au milieu des bataillons étrangers. L’intrépide capitan-pacha, réfugié dans la citadelle avec deux cents braves, refusa de se rendre ; et telle était la terreur qu’il inspirait, qu’on le laissa sortir le 16 octobre, à la tête de ses fidèles compagnons, pour recevoir bientôt du Sultan, avec la charge de grand-visir, la plus haute récompense à laquelle un sujet puisse aspirer.

La reddition de Varna sauva ce qui restait de l’armée russe ; il était temps. Le mois d’octobre avait commencé ; l’automne de Bulgarie, plus funeste encore que l’été, faisait déjà sentir son influence pernicieuse, et c’est ici qu’on doit remarquer toute la profondeur du plan qu’avait tracé Sultan Mahmoud. Abandonner les principautés à son ennemi, l’attirer dans la solitude sous les rayons dévorans du soleil, l’arrêter devant Varna et au pied du Balkan, l’exposer à tous les tourmens de la faim et de la soif, calculer les ravages du typhus qui avait

  1. En passant auprès d’un village turc, entre Chumla et Varna, l’empereur avait été assailli de coups de fusil. On donna aussitôt l’ordre de mettre le feu au village.
  2. Youssouf, ancien bey de Sérès, l’un des hommes les plus distingués de la Turquie. Il possédait des connaissances fort étendues, et était familiarisé avec toutes les inventions des arts européens. Sa nombreuse bibliothèque contenait, outre l’Encyclopédie, une collection précieuse d’ouvrages français. Toute la vie de Youssouf-Pacha, antérieure à sa défection de Varna, est digne d’estime. Il faisait beaucoup de bien, et dans tous les lieux où il avait exercé le pouvoir, à Alep, à Patras, etc., il s’était fait respecter et même chérir de tous ceux qui l’avaient connu.