Page:Revue des Deux Mondes - 1829 - tome 1.djvu/433

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
415
LE LASSO.

de peur d’effaroucher le sauvage animal que ce silence effrayait encore ; le seigneur de Guitera, plus attentif que les autres, montrait, de loin à Tonino, une carabine montée en argent, prix qu’il lui destinait, s’il réussissait dans son entreprise.

Mais Tonino, ne regardant que sa proie, ne s’occupait que d’elle ; craignant surtout de la laisser échapper, il tira de sa carghera une lourde balle de plomb, la fendit légèrement de quatre côtés pour y faire entrer le bout d’un long cordon, et imita ainsi le lasso Péruvien, dont il avait peut-être entendu parler à quelque aventurier italien, ou que la nécessité lui avait fait inventer. Le cheval cependant, étonné du silence qui avait succédé au bruit, et du repos qu’on lui laissait, s’y était peu à peu habitué ; bientôt, tournant sur lui-même, il présenta la croupe à Tonino, quand celui-ci, saisissant l’instant propice, se glissa, ou plutôt rampa doucement vers lui, sans plus de bruit que le serpent n’en fait sur l’herbe, et balançant deux ou trois fois en l’air le redoutable lasso, il en entoura avec une adresse merveilleuse les jambes de derrière du cheval qui tomba de la force du coup. Tonino sauta sur lui comme le tigre sur sa proie le mordit fortement à l’oreille, et le subjuguant par une vive douleur, lui passa autour de la tête l’autre bout du lasso en guise de licou ; puis relâchant un peu le lien qui lui serrait fortement les jambes, afin de lui laisser la faculté de se mouvoir, tout en l’empêchant de s’emporter, il le fit relever, et le lançant dans la plaine, le fatigua par mille brusques évolutions, auxquelles il le forçait de se prêter. L’animal dompté se soumit enfin aux volontés de son adroit cavalier, et celui-ci, le dégageant tout-à-fait de ses liens, le ramena vaincu devant la tente seigneuriale, tandis que les applaudissemens et les cris de joie fesaient retentir les échos à vingt milles à la ronde.

Le seigneur de Guitera lui-même ne put refuser son tribut d’éloges à l’intrépide écuyer : il descendit de son siége