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SCÈNES DU DÉSERT.

« Mais où allons-nous, mon ami, dit-il ? Je ne suis jamais venu ici depuis quarante ans que j’habite ce pays. Arrêtons-nous un peu, j’avoue que je suis fatigué. » Il s’appuya en même temps contre un rocher. — « J’avoue aussi que la légèreté de mes néophytes m’a un peu ému ; et Richesses-de-Dieu lui-même qui avait tant de zèle ! Mais je sais d’où cela vient ; ils auront vu le santon.

— » Il y a donc un santon près d’ici ?

— » Hélas ! oui. Un Beelzébuth, qui les fait retomber dans le péché tous les jours, et détruit mon œuvre évangélique… »

Comme il parlait, on entendit un bruit sourd et lointain, comme un coup de tonnerre, qui fut répété cent fois dans les souterrains de la chaîne libyque. L’interprète regarda son vieux compagnon d’un œil ferme et animé.

« Que pensez-vous de cela ? dit-il ; connaissez-vous ce bruit-là ?

— » Mais serait-ce… dit le père en balbutiant.

— » Le canon, dit l’interprète. Montez, montez vite, et vous verrez ce que ma lunette m’a fait apercevoir il y a une demi-heure. »

Le vieillard était trop troublé pour répondre, et ils suivirent un de ces larges sentiers à pente insensible, ouverts dans le roc par les mains gigantesques des Égyptiens, pour faire glisser, jusque dans la plaine, les colosses qu’ils taillaient dans le cœur même de la montagne.


Alfred de Vigny


(La suite à une prochaine livraison.)