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LES ALPES.

dans les vallées qu’un chamois fée l’avait attiré par delà le château de Saint-Michel, et qu’il avait entendu la voix de l’Esprit des montagnes maudites.

Aujourd’hui, dans ce même lieu, des voyageurs élégans, des femmes parées descendent de leurs chars-à bancs sur une route assez bien nivelée. De petits garçons déguenillés accourent avec un long porte-voix. Ils en tirent des sons aigus qui ressemblent encore à l’ancienne adjuration du chasseur. Une voix des montagnes les répète encore distinctement sur un ton plus faible et plus lointain. Et puis, si vous demandez à ces enfans : Qu’est cela ? Ils vous répondent : c’est l’écho ; et tendent la main. — Où est la poésie ?

Nous laissons derrière nous les jeunes mendians, le porte-voix, le foyer de l’écho, et nous nous enfonçons dans la gorge de plus en plus étroite et sauvage. Depuis quelques instans un brouillard gris et terne nous cache le ciel. Nous montons, il descend. Nous le voyons remplir successivement tous les intervalles des crêtes opposées. Ses bords qui se dilatent et s’effilent en quelque sorte, ressemblent à la frange d’un réseau. De blanchâtres lambeaux des vapeurs de l’Arve s’élèvent lentement et le rejoignent. Il touche à la haute lisière des sapins, la baigne, gagne d’arbre en arbre, et tout à coup il se ferme sur nous, et nous voile les montagnes du fond comme une toile qui s’abaisse sur une décoration de théâtre.

Nous étions à l’endroit le plus horrible et le plus beau du chemin, au point le plus élevé de ces montées. On distinguait encore à travers la brume l’escarpement opposé, tout hérissé de sapins presque couchés sur le sol, tant la pente est perpendiculaire ! Les rangs de la forêt sont quelquefois éclaircis par de grands arbres