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VOYAGES.

resta suspendue pendant quatre-vingt-seize heures au bord de ces masses verticales de coraux, et sans cesse menacée de sa ruine par les lames du large qui venaient battre contre ses flancs. Durant tout ce temps, son salut ne tint qu’à un fil, car il suffisait de la rupture d’un seul anneau de ses chaînes ou du morceau de corail auquel chaque ancre avait mordu, pour la livrer à une destruction complète. Échappée enfin, comme par miracle, à cet affreux péril, l’expédition put mouiller dans l’intérieur du hâvre de Pangaï-Modou ; les avaries furent réparées du mieux qu’il fut possible : déjà même le capitaine d’Urville déterminé, malgré ses pertes, à poursuivre son plan de campagne, se flattait de reprendre la mer sans éprouver d’autres obstacles, lorsque la trahison des naturels vint exposer l’Astrolabe à de nouveaux dangers. M. d’Urville, dans son journal, raconte ainsi qu’il suit les diverses circonstances de cet épisode.

..... (12 mai 1827.) Toute la soirée le navire fut environné par un grand nombre de pirogues, et l’on eut beaucoup de peine à empêcher les naturels de pénétrer dans son intérieur. Plus impatiens qu’ils ne l’avaient encore été, les uns se glissaient sous les filets d’abordage, d’autres par les sabords ou par derrière les sentinelles, afin d’échapper à leur surveillance. M. Jacquinot et moi nous étions souvent obligés d’aller prendre par le bras ces hôtes indiscrets et de les forcer à sortir de la corvette, cérémonie qui n’était nullement de leur goût, et qui manquait rarement de nous attirer tout leur ressentiment. Ce métier était pour nous-mêmes fort désagréable, et notre position au milieu d’une population aussi nombreuse et aussi entreprenante pouvait devenir critique avec un équipage sur lequel je devais médiocrement compter. Aussi j’aspirais vivement après l’instant où l’Astrolabe serait hors des récifs de Tonga.

Fatigué des travaux et des soins de la journée, je m’étais couché sur une cage à poules, et je sommeillais depuis une demi-heure, lorsque à neuf heures environ je me sentis éveillé par l’honnête Langui, qui m’apportait une