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LITTÉRATURE.

Ces naïfs ornemens de la vie végétale imprimaient aux restes du monument une harmonie religieuse et mélancolique. Ils la comprirent tous deux, quand leurs regards vinrent se reposer sur ce premier plan du paysage.

— Comme ce lieu serait bien pour revenir… Tiens ! prenons-le pour celui du rendez-vous. Tu verras, ajouta-t-elle avec un timbre de voix et un accent dont la vibration était singulière ; tu verras que j’y serai fidèle.

Et alors, avec une pointe de couteau, ils gravèrent quelque chose, à la lumière crépusculaire, sur une pierre blanche taillée en forme de croix.

À quelque temps de là, elle dut faire avec son mari un voyage dans le midi de la France. Sa santé, délicate et frêle, fut pour quelque chose dans cette détermination.

Le jour des adieux fut triste, comme on pense bien. Eux, pourtant, cherchaient à être gais. Ils se répétaient que le voyage serait court ; mais le visage de la jeune femme trahissait une souffrance. Ses joues, ordinairement pâles, étaient colorées comme par la fièvre ; ses yeux noirs brillaient d’un feu sec. Elle lui disait ces choses par lesquelles on cherche à se consoler, à deux, d’une absence qui va commencer. Elle était déjà en voiture qu’elle lui répétait, peut-être pour la vingtième fois, et avec un sourire angélique :

— Ne sois donc pas triste ; le voyage sera court, je reviendrai bientôt.

— Et, comme elle disait ces mots, il frissonna, car il crut entendre le timbre de voix et l’accent singulier avec lequel fut prononcé le rendez-vous près des ruines de la vieille église.

Il fut si frappé de cette coïncidence, qui lui parut fatale, qu’il resta là, immobile, et comme pressé par ce lourd cauchemar qui nous enveloppe quelquefois pendant le sommeil, et paralyse tout mouvement, toute force. Il resta dans cet état long-temps encore après que la voiture, entraînée au galop, eût disparu avec le long nuage de poussière qu’elle laissait après elle, et c’est à peine s’il se souvint d’avoir vu,