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UNE COURSE DE TAUREAUX.

trouva en face du matador qui l’attendait, toujours en garde.

Il y eut encore une pause de quelques secondes.

Le plus profond silence régnait dans tout le cirque. On n’entendait que la respiration bruyante, l’espèce de râle du taureau, qui était là, haletant, tout couvert d’écume et de sang, jetant la fumée par les naseaux.

Miranda s’était légèrement courbé, abaissant la muleta ; puis, en même temps, il avait un peu levé le bras, ramenant le coude vers la poitrine, tenant l’épée inclinée au-dessus de la tête du taureau.

Tout d’un coup celui-ci s’élança de nouveau sur le matador ; — il s’était enferré lui-même, il était frappé à mort. Le bras du matador, passant entre les deux cornes, lui avait plongé l’épée jusqu’à la garde, à la naissance du cou.

L’estocade était magnifique !

Le taureau chancela, fit quelques pas à reculons, luttant contre l’agonie, secouant convulsivement la tête, comme pour rejeter de son corps le fer qui le traversait tout entier, puis il tomba à la renverse et demeura sans mouvement.

Une soudaine et universelle explosion de viva et d’applaudissemens éclata alors. Les femmes se penchaient, agitant leurs éventails ; les mouchoirs flottaient aux loges, aux gradas cubiertas et au tendido, tout le cirque en était pavoisé.

L’heureux et triomphant matador traversa l’arène pour aller déposer, au pied de la loge du roi, l’épée et la muleta, répondant par des baise-mains aux acclamations dont il était partout salué sur son passage.

Cependant l’élégant et riche attelage des mules, conduit par les chulos, était entré dans l’arène ; puis, lestes et fringantes, elles en avaient successivement enlevé au grand galop, traînés sur la poussière, les corps inanimés et tout sanglans des cinq chevaux et du taureau.

Tant de sang versé m’avait ébloui, m’avait donné le vertige ; je me sentais défaillir.

J’appelai un aguador, et je bus un grand verre d’eau fraîche. Pepita but aussi. — Moi, je buvais parce que je souffrais,