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M. DE BALZAC.

moins une conviction, lui, la conscience des arts. On sent qu’il prend ses créations au sérieux, qu’il est ému jusqu’au fond de ses entrailles et qu’il pleure à chaudes larmes. Dans ses rêveries sublimes et passionnées sur l’art, on ne voit point percer un perpétuel dénigrement du cœur humain, une ironie satirique qui désenchante. Le Chef-d’œuvre inconnu et Sarrasine de M. de Balzac sont des compositions qui entraînent. Mais, dans le premier de ces contes, Nicolas Poussin se dégrade, et quand il force sa ravissante et pudique maîtresse à se montrer nue à des yeux profanes, à servir de modèle, je partage le mépris qu’elle ne peut s’empêcher de ressentir pour lui. Dans le second, l’artiste fourvoie son amour d’une manière étrange. Il a fallu un prodigieux effort de talent pour raconter un désappointement si scabreux, si bizarre. Il a fallu que l’auteur fit mourir son héros pour l’empêcher d’être souverainement ridicule.

On pourrait fort bien appeler les opuscules de M. de Balzac, contes misantropiques. Partout des déceptions atroces dans les sentimens humains, partout l’homme envisagé sous le point de vue le plus misérable, le plus désespérant. Il n’y a peut-être pas un de ces contes où la soif d’hériter ne gangrène un cœur. Elle cesse un instant d’être sanguinaire dans la délicieuse composition de l’Enfant maudit ; elle empêche un double, un exécrable meurtre ; mais elle reparaît assassine et parricide dans l’Élixir de longue-vie. L’hérédité poursuit M. de Balzac, il ne voit « que gens qui prennent de l’argent à rentes viagères sur la foi d’un catarrhe, qui spéculent sur la mort, qui s’accroupissent chaque matin sur un cadavre, et qui s’en font un oreiller le soir. » Et cependant n’allez pas vous imaginer que tout cela soit triste, maussade, déclamatoire. Non ; ce sont de petits drames, vifs, coupés, rapides, spirituels, réjouissans ; des lambeaux souvent, mais des lambeaux de soie et d’or. C’est la littérature d’un siècle où l’on multiplie les sensations, où l’on en crée de nouvelles, où tout est accéléré, la vie et les roulages ; d’un siècle qui a vu naître les bateaux à vapeur, les voitures