Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 4.djvu/494

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
478
LITTÉRATURE.

Sa petite boutique était située près du parlement ; et quelquefois, en sortant, les membres des deux chambres descendaient de cheval à sa porte, et venaient manger des buns ou des mince-pies en continuant la discussion sur le bill. C’était devenu une sorte d’habitude par laquelle la boutique s’agrandissait chaque année, et prospérait sous la garde des deux petits enfans de Kitty. Ils avaient huit ans et dix ans, le visage frais et rose, les cheveux blonds, les épaules toutes nues, et un grand tablier blanc devant eux, tombant comme une chasuble.

Le mari de Kitty, master Bell, était un des meilleurs selliers de Londres, et si zélé pour son état, pour la confection et le perfectionnement de ses brides et de ses étriers, qu’il ne mettait presque jamais le pied à la boutique de sa jolie femme dans la journée. Elle était sérieuse et sage ; il le savait, il y comptait, et je crus, en vérité, qu’il n’était pas trompé.

En voyant Kitty, vous eussiez dit la statue de la paix. L’ordre et le repos respiraient en elle, et tous ses gestes en étaient la preuve irrécusable. Elle s’appuyait à son comptoir et penchait sa tête dans une attitude douce en regardant ses beaux enfans. Elle croisait les bras, attendait les passans avec la plus angélique patience, et les recevait ensuite en se levant avec respect, répondait juste et seulement le mot qu’il fallait, faisait signe à ses garçons, ployait modestement la monnaie dans du papier pour la rendre, et c’était là toute sa journée, à peu de chose près.

J’avais toujours été frappé de la beauté et de la longueur de ses cheveux blonds, d’autant plus qu’en 1770 les femmes anglaises ne mettaient plus sur leur tête qu’un léger nuage de poudre, et qu’en 1770 j’étais assez disposé à admirer les beaux cheveux attachés en large chignon derrière le cou et détachés en longs repentirs devant le cou. J’avais d’ailleurs une foule de comparaisons agréables au service de cette belle et chaste personne. Je parlais assez ridiculement l’anglais, comme nous faisons d’habitude, et je m’installais devant le