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CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

CHAPITRE XV.
Où le drame est interrompu par l’érudition d’une manière déplorable aux yeux de quelques dignes lecteurs.

Lorsque j’eus achevé de lire cette longue lettre, qui me fatigua beaucoup la vue et l’entendement, à cause de la finesse de l’écriture et de la quantité d’e muets et d’y que Chatterton y avait entassés par habitude d’écrire le vieil anglais, je la rendis à la sérieuse Kitty. Elle était restée appuyée sur son comptoir ; son cou long et flexible laissait aller sur l’épaule sa tête rêveuse, et ses deux coudes appuyés sur le marbre blanc s’y réfléchissaient, ainsi que tout son buste charmant. Elle ressemblait à une petite gravure de Sophie Western, la patiente maîtresse de Tom Jones, gravure que j’ai vue autrefois à Douvres, chez…

— Ah ! vous allez encore la comparer, interrompit Stello ; qu’ai-je besoin que vous me fassiez un portrait en miniature de tous vos personnages ? Une esquisse suffit, croyez-moi, à ceux qui ont un peu d’imagination ; un seul trait, docteur, quand il est juste, me vaut mieux que tant de détails, et, si je vous laisse faire, vous me direz de quelle manufacture était la soie qui servit à nouer la rosette de ses souliers : pernicieuse habitude de narration qui gagne d’une manière effrayante.

— Là ! là ! s’écria le docteur noir avec autant d’indignation qu’il put forcer son visage insensible à en indiquer, sitôt que je veux devenir sensible, vous m’arrêtez tout court ; ma foi, vogue la galère ! vive Démocrite ! Habituellement j’aime mieux qu’on ne rie ni ne pleure, et qu’on voie froidement la vie comme un jeu d’échecs ; mais s’il faut choisir d’Héraclite ou de Démocrite pour parler aux hommes d’eux-mêmes,