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CONSULTATIONS DU DOCTEUR NOIR.

d’un homme absorbé par un travail intérieur qui ne cesse jamais et qui lui fait voir des ombres sur ses pas. Il leva seulement les yeux au plafond et dit :

— Le poète cherche aux étoiles quelle route nous montre le doigt du Seigneur.

Je me levai et courus, malgré moi, lui serrer la main. Je me sentais du penchant pour cette jeune tête montée, exaltée et en extase comme est toujours la vôtre.

Le Beckford eut de l’humeur.

— Imagination ! dit-il…

— Imagination ! Célestes vérités ! pouviez-vous répondre ? dit Stello.

— Je sais mon Polyeucte comme vous, reprit le docteur, mais je n’y songeais guère en ce moment.

— Imagination, dit M. Beckford, toujours l’imagination au lieu du bon sens et du jugement. Pour être poète à sa façon lyrique et somnambule dont vous l’êtes, il faudrait vivre sous le ciel de Grèce, marcher avec des sandales, une clamyde et les jambes nues, et faire danser les pierres avec le psaltérion. Mais avec des bottes crottées, un chapeau à trois cornes, un habit et une veste, il ne faut guère espérer se faire suivre, dans les rues, par le moindre caillou, et exercer le plus petit pontificat, ou la plus légère direction morale sur ses concitoyens.

La poésie est à nos yeux une étude de style assez intéressante à observer, et faite quelquefois par des gens d’esprit, mais qui la prend au sérieux ? quelque sot ! Outre cela, je tiens ceci d’un Français, et je vous le donne comme certain ; savoir : que la plus belle muse du monde ne peut suffire à nourrir son homme, et qu’il faut avoir ces demoiselles-là pour maîtresses, mais jamais pour femmes. Vous avez essayé de tout ce que vous pouvait donner la vôtre, quittez-la, mon garçon ; croyez-moi, mon petit ami. D’un autre côté nous vous avons essayé dans des emplois de finance et d’administration où vous ne valez rien. Lisez ceci, acceptez l’offre que je vous fais, et vous vous en trouverez bien,