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LITTÉRATURE CRITIQUE.

a fait pour les Elémens d’Euclide. Il a dépensé toutes les facultés de son esprit à réfuter toutes les renommées qu’il ne pouvait atteindre.

J’ai connu des intelligences assez hautes, d’une belle trempe, et d’une portée lointaine et vigoureuse, qui répugnaient à la haine, et s’en tenaient au mépris. Pour lui, le mépris ne ferait pas son compte, et Il s’en abstient, comme d’un sentiment stérile. Aujourd’hui Il compte autant de haines qu’hier Il comptait d’amitiés. Le jour où l’Europe apprendra la mort de Goëthe, Il aura de profonds regrets. Non pas qu’il voie avec douleur s’éteindre le génie à qui nous devons Faust et Werther, peu lui importe, car Il n’est capable d’aucune sympathie. Mais Il verra s’en aller sa dernière espérance de gâter une gloire qui a vécu impunément de son temps.

Il a obtenu dans sa vie un assez bon nombre de succès anonymes, qu’Il a su habilement exploiter pendant quelque temps. Il a semé adroitement des bruits perfides qui attribuaient à d’autres l’œuvre de ses mains, et souvent Il a dû à cette supercherie la renommée d’une semaine. Huit jours après Il se mettait en quête de nouvelles dupes. Ses meilleures amitiés ont passé par cette perfidie. Tous les noms honorables qu’Il a pu connaître, toutes les hautes réputations qu’Il a fréquentées, Il s’en est servi sans scrupule, pour escamoter à l’ombre de leur gloire et à son profit quelques battemens de mains, quelques douzaines de louanges éphémères.

Mais s’il s’en fut tenu là, s’il eût borné son rôle à mettre sur ses œuvres le nom d’autrui, sa part serait trop belle encore, et Il serait en droit de railler superbement l’innocente niaiserie des lecteurs. Il serait toujours bien venu à répondre : Tant pis pour vous si vous admirez mes vers sous le prétexte de Béranger, si vous pleurez aux contes que je vous fais, parce que vous croyez reconnaître dans le vélin de mes volumes, dans les douze lignes de mes pages, et dans la décence aristocratique et réservée des passions que je décris la