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MARINE FRANÇAISE.

rins en Angleterre est bien grande ; tandis qu’ici !… (assurément on ne refuse pas à nos marins une certaine estime, mais on les regarde plutôt avec curiosité qu’avec vénération), ils étonnent et ne sont pas compris. Il n’y a pas un salon de petite ville où l’on ne sache tout de suite ce que vous voulez dire quand vous prononcez les noms de Ney, de Lamarque ou de Pajol ; allez jeter aux habitués de ces réunions les noms de Lucas, de Bouvet et d’Hamelin, vous verrez si vous êtes entendu ! On devrait apprendre à lire aux enfans dans une histoire simple et bien faite, des marins français ; cette première impression combattrait peut-être ce que la vue d’un drapeau qui passe et d’un escadron qui défile au galop, donne d’entraînement exclusif pour une carrière bien belle, bien noble sans doute, mais qui ne peut se comparer à celle de la mer.

La loi de recrutement a fait quelque chose pour et contre la marine. Elle a appelé les hommes de toutes les localités au service des vaisseaux, ce qui pourra répandre dans l’intérieur le goût de la navigation, ce qui pourra bien aussi peut-être en détourner beaucoup de monde. Si elle donnait seulement cent marins par an, indépendamment de ceux qu’elle contraint, ce serait une excellente loi ; mais elle ne donne pas tant, et voici pourquoi : l’apprentissage de la mer est dur, pénible, difficile, surtout quand dès l’enfance on n’a pas entendu souffler le vent du large, et qu’on n’a pas vu la mer se briser avec fureur contre les falaises ou sur les grèves. Rester six ou sept ans seulement dans la marine, c’est en avoir tout l’ennui, toute la fatigue ; c’est n’avoir pas le temps de s’y passionner. Il n’y a guère que les marins, enfans des ports ou des côtes, qui aient la mer en vive affection. Ils y sont faits par l’habitude, ils en comprennent l’attrait. Ceux que la conscription y lance, luttent d’abord contre elle, puis la supportent et s’en lassent, puis l’abandonnent sans regrets, ou même avec joie quand le terme de leur service est arrivé. Ce terme est trop tôt venu pour la marine ; voilà le mal essentiel de la loi.