Page:Revue des Deux Mondes - 1831 - tome 4.djvu/90

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
80
LITTÉRATURE.

fluence des passions sur un homme aussi nul, aussi vaniteusement irréfléchi.

Souvent ses amis la surprenaient livrée à de longues méditations, et les moins clairvoyans lui en demandaient le secret en plaisantant, comme si une jeune femme pouvait ne songer qu’à des frivolités. Il y a presque toujours un sens profond dans les pensées d’une mère de famille : le malheur, nous mène à la rêverie, aussi bien que le bonheur vrai.

Parfois, en jouant avec sa fille, Julie la regardait d’un œil sombre, et cessait de répondre à ces interrogations enfantines qui font tant de plaisir aux mères, pour demander compte à sa destinée du présent et de l’avenir ; alors, ses yeux se mouillaient de larmes, quand soudain un cruel souvenir lui rappelait la scène de la revue aux Tuileries. Les prévoyantes paroles de son père retentissaient derechef à son oreille, et sa conscience lui reprochait d’en avoir méconnu la sagesse : de cette désobéissance folle, venaient tous ses malheurs, et souvent elle ne savait, entre tous, lequel était le plus rude.

Non-seulement les doux trésors de son âme restaient ignorés, mais elle ne pouvait jamais parvenir à se faire comprendre de son mari, même dans les choses les plus ordinaires de la vie. Puis, elle sentait la faculté d’aimer, toujours aussi forte, aussi active en elle que jadis ; et l’amour permis, l’amour conjugal, s’était évanoui sous la souffrance et dans la pitié. Elle avait pour son mari cette compassion voisine du mépris qui flétrit à la longue tous les sentimens. Enfin, ses conversations avec quelques amis, les exemples, et certaines aventures du grand monde, lui apprenaient que sa vie n’aurait pas dû s’écouler ainsi, qu’il y avait un bonheur à goûter ; et Julie devinait, par toutes les blessures qu’elle avait reçues, les plaisirs profonds et purs qui unissent si parfaitement les âmes fraternelles.

Dans le tableau que sa mémoire lui faisait du passé, la figure candide de sir Arthur se dessinait toujours plus pure et plus belle, mais rapidement ; elle n’osait s’arrêter à ce souvenir : le silencieux et timide amour du jeune Anglais était le seul