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digne de dompter le cheval, d’en étreindre la croupe, car il appelle le cheval la plus noble conquête qu’ait faite l’homme. Le naturaliste de Monbar n’était jamais monté qu’à cheval ! On ne le voit que trop.

De là, de cette situation amphibie, l’explication trouvée à la vie si chaste et si prodigue du marin, si étroite et si avare à la mer, si jeune, si folle, si bruyante sur la terre. L’une de ces deux vies est le manteau de laine, l’enveloppe forte et laborieuse, qui cache le corps robuste, la pensée attentive, et qui veille ; celle-là, la robe de fête, insouciante et éventée, qui s’ouvre pour répandre l’or sur la table du cabaret, dans la première main de femme ouverte, sur qui en veut.

Que cet or soit le prix de la piraterie, de la course sur l’ennemi, de la baleine pêchée dans les glaces de Baffin, de la tête de noir vendue à la Havane, n’importe ! Il faut le dépenser. Il faut du champagne à qui a tant vu d’eau salée, des coussins moelleux, des femmes plus moelleuses que des coussins à qui a si souvent dormi sur le bois, à qui a tant touché des cordes et du fer. Allons, femmes tendres et faciles, marchands de vin, cabaretiers, loueurs de chevaux ! Allumez les bougies, sellez, débouchez, riez, ne leur refusez rien ; ils ne vous refuseront eux, ni les doublons, ni la gourde, ni la piastre, ni les sequins : prenez ! venez, tailleurs, faites-moi un habit neuf à cet homme carré, semez de boutons d’or cette poitrine noire ; que tout soit neuf et luisant aussi, et le chapeau, et les souliers et la chemise ; mettez-lui des gants, c’est un instant de vengeance de matelot contre sa mauvaise fortune de tous les jours. À présent, asseyez le dans un beau carrosse, à côté d’une belle femme qui a du fard, et roulez-le à travers la ville !

Voilà la vie ! L’an passé aux Indes, il y a six mois au Groënland, aujourd’hui à l’auberge de l’Ancre d’or, dans quinze jours, mangé par les poissons.

Ce type est-il assez sculpté ? Qu’attendez-vous pour le saisir ? Si l’art ne vit que de contrastes, quels contrastes plus énergiques connaissez-vous ?

Toutefois la mélancolie chrétienne a aussi sa place dans cette