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REVUE. — CHRONIQUE.

Mais je me demande avec inquiétude à quel avenir M. Terrier peut prétendre après un pareil début.

Puisque le théâtre est devenu un mauvais lieu, il faut se réfugier dans les livres. Cette quinzaine en a vu paraître une série assez nombreuse. Nous commencerons par celui de M. Paul de Musset.


La Table de nuit, par M. Paul de Musset[1]. Ceci peut s’appeler le second volume des Contes d’Espagne et d’Italie. Sauf le travail d’exécution, qui n’est pas et ne pouvait guère être le même, puisque la prose, à moins de tomber aux mains d’un artiste volontaire et sérieux, tel que Pascal ou Courier, comporte rarement la même et délicate ciselure que le vers armé du rhythme, de la césure et de la rime, la Table de nuit offre à-peu-près les mêmes défauts et les mêmes qualités que M. Alfred de Musset. Il y a de l’esprit, et beaucoup, à chaque page. Parfois ou rencontre une demi-heure de verve entraînante et de poignante ironie, et puis, quand on espère que la fable va se nouer, elle s’embrouille, et s’emmêle et se croise en mille sens, la curiosité s’allume et s’exalte ; mais l’auteur, effrayé lui-même de la complication inextricable de son tissu, n’a plus d’autre méthode à suivre que celle d’Alexandre. Ne pouvant dénouer le nœud, il le tranche par un éclat de rire, qui lui rend le même service que le tranchant de l’épée. Il se fie trop aux belles pages, aux invectives acérées, aux mordantes épigrammes, et se donne rarement le souci de composer à l’avance, de construire et d’ordonner ce qu’il veut raconter. Ainsi faisait, il y a deux ans, M. Alfred de Musset. Il y avait, dans Portia et don Paez, des couplets et des tirades aussi profondes et aussi achevées que dans Lara ou Parisina ; mais là s’arrête la comparaison. Les deux poèmes publiés à Londres étaient faits avant d’être écrits, au rebours du drame espagnol et du drame vénitien, qui se faisaient à mesure qu’ils s’écrivaient ; or, ce qui convient volontiers aux improvisations de piano est désastreux, quand on fait un livre.

Mais ce qui faisait des Contes d’Espagne et d’Italie quelque chose qui ne ressemble pas mal aux tapis d’Ispahan et de Stamboul, quelque chose d’étincelant et de varié, quelque chose à mille couleurs, mais sans lignes harmonieuses, sans figures précises, sans gestes et sans attitudes qui témoignent d’une action une et multiple tout à-la-fois, tout cela se retrouve dans la Table de nuit. M. Alfred de Musset avait imité tour-à-tour Victor Hugo, Sainte-Beuve, Alfred de Vigny, lord Byron et Mérimée. Les Marrons du feu, Mardoche et Barcelonne en font foi.

Eh bien ! M. Paul de Musset a suivi les mêmes erremens que son frère : il a pris sa poétique dans le Violon de Crémone et don Juan. Il a mis au nombre de ses dieux littéraires Hoffmann et Byron ; il a eu raison, et nous ne voulons pas l’en blâmer. Seulement il a eu tort de croire qu’il convenait d’imiter et de re-

  1. Chez E. Renduel.