Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 6.djvu/153

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
147
LUIZ DE CAMOENS.

Un fauteuil, en effet, c’est bien là ce qui s’associe le mieux dans notre esprit à l’idée d’homme de lettres : un fauteuil d’études, un fauteuil d’académie, un fauteuil de chef de division. Ce mot dit tout : repos, veilles, vie courbée et inactive, résidence à Paris, que sais-je ? lésion, ou suspension des facultés locomotives. Le peuple qui, chez nous, joint toujours l’image à l’idée, a traduit celle-ci par culs de plomb.

Cette définition populaire, généralement assez exacte en France, serait une étrange contre-vérité, si on l’appliquait toujours et partout. Il s’est rencontré en Europe une petite nation chez qui l’idée d’homme de lettres a répondu long-temps à celle de voyages, de guerres, de captivités chez les Maures, de naufrages au Brésil, d’exils aux Moluques. Il n’y eut pas chez elle, durant cette période, un poète qui n’eût fait ses mille ou deux mille lieues en mer, combattu en Afrique, en Amérique ou dans l’Inde. Cette nation eut une littérature et pas de littérateurs ; elle eut de beaux ouvrages et pas d’hommes de lettres, de grands poètes et rien qui ressemblât à une classe à part, sédentaire, inactive, payée et patentée pour écrire.

Et cela n’était ainsi ni par choix, ni par système : cela était par nécessité. On n’avait pas alors en Portugal le temps de ne faire qu’une chose, de se renfermer dans une seule besogne. L’état était emporté au-dehors par un mouvement si précipité ; il était entraîné dans un courant de conquêtes et de grandeur si rapide, que, comme sur le pont d’un vaisseau qui force ses voiles, tous les bras étaient nécessaires à la manœuvre.

Pour nous, grandes nations continentales, sans colonies, sans goût pour la mer, sans amour des contrées lointaines, peuple depuis long-temps assis, puissant par le sol, par la population, par l’industrie, qui vivons clos, chez nous ou dans le voisinage, devers le Rhin ou les Alpes, nous pouvons à peine comprendre ce qu’il a fallu d’efforts, de contention, d’activité, de sacrifices, de dépenses de forces individuelles, pour qu’à un moment donné, un petit peuple de hardis marins, comme celui de Portugal, ait pu fonder des capitales à deux mille lieues de ses foyers, et conserver, pendant près d’un siècle, un empire qui fut un moment plus