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LOUVEL.

nuit et jour. Une étroite fenêtre, garnie de barreaux de fer, et rejetée dans un enfoncement, donnait à peine quelques heures de clarté au prisonnier. Pour lui, les bras constamment enfermés dans la camisole, libre de ses liens seulement aux heures des repas, calme et tranquille comme à l’instant de son arrestation, il demeurait presque tout le jour assis sur le pied de son grabat, ou parfois se promenait dans sa chambre, longue à peine de huit ou dix pas, et qu’occupait encore en partie l’officier de police chargé de le surveiller sans cesse. Durant sa longue captivité, il rompait la monotonie des heures et d’un continuel silence pour rappeler les circonstances de sa vie, celles de son crime, ou s’occuper des insignifiantes péripéties qui venaient distraire de loin en loin son agonie. « J’ai conçu mon projet, disait-il, en 1814, et la première pensée m’en vint à l’esprit, pendant que je faisais faction sur les remparts de Metz, où je servais comme garde national. Depuis quelques semaines nous étions bloqués par les étrangers, quand j’appris par les journaux, que je lisais alors, mais que je ne lis plus depuis, car leur contenu me fait mal, que les Bourbons revenaient en France et allaient monter sur le trône. Dès ce moment, je jurai leur mort ; car, à mes yeux, le plus grand crime qu’un Français puisse commettre, c’est de rentrer dans sa patrie avec l’aide des ennemis. D’ailleurs les Bourbons avaient déjà porté les armes contre la France, et je ne pouvais le leur pardonner. Je rendais service à mon pays en les frappant, et j’étais prêt à affronter tous les supplices pour accomplir mon dessein. J’ai attendu l’occasion six années entières, épiant l’instant favorable, le manquant quelquefois seulement par hasard, d’autres fois par faiblesse : mais enfin le coup est fait ; et vous me verrez aussi tranquille sur l’échafaud que je le suis ici, que je l’étais en faisant mon métier de sellier, que je l’ai toujours été. » — L’officier de police n’écoutant point ces paroles, ou feignant de ne les point écouter, le prisonnier se tut et regarda silencieusement le gardien, qui, prenant ses souliers, en détachait les cordons, de peur que le détenu n’essayât de s’en servir pour se détruire. Louvel haussa dédaigneusement les épaules, et l’expression de ses yeux dit assez