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pour Napoléon. Mais l’empereur était déjà tombé au pouvoir de l’amiral anglais, et les équipages restèrent quelques mois à la Rochelle. C’est là que Louvel fit faire, comme outil de son état, le poignard qui lui servit à frapper sa victime, et que depuis il n’a point un seul instant quitté.

Cependant les heures et les jours s’écoulaient bien lentement. L’ennui du cachot n’était rompu que par de bien courtes et bien rares distractions. C’était parfois le chien du concierge auquel le prisonnier donnait en l’agaçant quelques morceaux de pain : plus rarement, c’étaient les jeux des autres détenus qu’il regardait s’ébattre dans le préau. Mais il aimait peu à se montrer à la fenêtre, craignant de paraître rechercher une vaine curiosité. Un jour, le factionnaire qui veillait dans la cour aux abords de sa prison, s’approcha pour le voir, et laissa quelques instans son fusil appuyé contre le mur. Les détenus, profitant de cette aubaine en gens qui n’en ont pas souvent de pareilles, vinrent adroitement saisir le fusil, et ce ne fut pas sans débat et sans peine que le conscrit, pris en faute et tout interdit, put le reprendre de leurs mains. La rumeur de joie, de cris et de plaisanteries fut grande au préau. Le brigadier qui veillait dans la chambre du prisonnier s’élança vers la fenêtre, curieux de voir ce qui troublait si bruyamment le silence de la maison, et les détenus, comptant que c’était la figure de Louvel, se pressaient de loin pour le regarder. Mais il était tranquillement assis sur le pied de son lit ; et suivant silencieusement toute cette scène dont il était, sans le vouloir, un des acteurs : « Monsieur l’officier, dit-il au brigadier, vous figurez là pour moi. Mais vous ne seriez pas toujours fort aise de figurer ainsi. Le rôle serait dur à la place de Grève. »

La commission nommée par la Chambre des pairs pour instruire le procès, interrogea Louvel pour la première fois le 23 mars. Depuis long-temps, il attendait ce moment, et il s’y était préparé avec toute la maturité et le soin dont il était capable. Il voulait faire aux commissaires l’histoire complète de sa vie, et surtout, en leur montrant sous quel jour il envisageait la conduite des Bourbons, leur dérouler tous les