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Je les ai appris à l’Institution des enfans de la patrie, à Versailles. J’étais bien jeune alors, car il y a plus de vingt-cinq ans… Ces jours derniers, sans que je l’eusse demandé, on m’a envoyé dans ma prison un jeune prêtre catholique, pour me confesser sans doute et savoir ce que mes juges ne pourront tirer de moi. Sa figure et ses manières me plurent assez : il me parut avoir quelque franchise et quelque bonté. Je fus un instant sur le point de céder et de me servir de son ministère, non point pour lui dire ce qu’il attendait sans doute, un grand secret, mais afin de m’éprouver moi-même, et de savoir ce que ces secours religieux produiraient sur mon esprit. Cependant je résistai à la tentation. Le peuple aurait dit : « Voyez-vous, Louvel s’est confessé ; il s’est amendé ; il a tout avoué. » Et l’on n’aurait pas manqué de débiter à cette occasion des mensonges absurdes, auxquels je ne veux pas à donner prétexte. Le jeune prêtre a dû s’en aller comme il était venu, sans avoir rien tiré de moi, parce que je n’avais rien à lui dire. Je n’allais jamais aux églises ; et si trois ans de suite, à la Fête-Dieu, je suis allé à l’Assomption, c’est que j’étais certain d’y trouver le duc de Berry ; mais la foule m’empêcha toujours d’exécuter mon projet. Je me rappelle qu’aux écuries du roi, j’avais souvent des discussions avec mes compagnons sur leurs idées religieuses. Ils affectaient tous d’être fort pieux, car c’était le ton de la maison. Moi, du moins, j’étais plus franc, et je ne cachais point ce que je pensais. Je leur disais : « Je ne suis point chrétien, je suis Théophilanthrope. » Ils étaient tous scandalisés de mes paroles, et comme ils n’étaient pas sûrs que je fusse baptisé, l’un d’eux voulut absolument, pour me préparer au sacrement, me faire apprendre un catéchisme que le curé de Saint-Germain-l’Auxerrois lui avait remis pour son enfant. C’était se moquer d’un homme de mon âge que de lui proposer l’instruction destinée à un bambin de dix ans. — Cependant, lui dit le gardien, sans religion il n’y a point de morale, et sans morale… — La morale, monsieur le brigadier, je crois en avoir tout autant qu’un autre, quoique je n’aie pas de religion. Je ne conçois pas com-