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FROISSART.

point qu’elle seule était la cause de cette diversité merveilleuse des nations européennes, dont elle était le berceau. À tort ou à raison, en tout et pour tout, il ne fallait voir en elle qu’abomination et barbarie. L’auteur de l’Esprit des lois fut presque traduit à la barre de l’opinion publique, pour avoir introduit un traité des fiefs dans un livre où l’on ne voulait voir que des théories générales sur les droits de l’humanité. S’il recommandait quelquefois d’antiques maximes, de vieilles institutions, il sentait un peu son président ; et la gloire de son nom ne préservait pas Montesquieu du ridicule. Que dirai-je de plus ? L’attaque la plus âpre venait de ceux-là mêmes à qui était confié le soin de la défense. Ainsi, quand le tiers-état, à Versailles, se trouve face à face avec les deux ordres, ses rivaux, c’est d’eux qu’il reçoit ses chefs les plus actifs et ses tribuns les plus fougueux. La noblesse elle-même, en corps, s’en vient, par une belle nuit d’août, répudier ses propres titres, et renier jusqu’au nom de ses pères ; et tout ce qui n’entrait pas dans ce mouvement irrésistible ne défendait que de vains privilèges, des abus odieux, sans plus avoir ni titres réels à faire valoir, ni dogmes politiques à invoquer.

Ainsi l’avait voulu, pour son malheur, l’absolutisme de la royauté que fonda Louis xiv sur des bases si fausses, et on peut le dire aujourd’hui, si peu durables. Pour se substituer à tout et dominer sans partage, il avait surtout fallu détruire dans les cœurs le culte des aïeux et le prestige des souvenirs. Le duc de Saint-Simon caractérise fort bien cette politique étrange, suivie avec persévérance, mais par instinct plutôt que par calcul, lorsqu’il affirme que Louis xiv en était venu au point de ne connaître de rois de France que lui. Cette infatuation, qui le dominait, se répandit sans peine autour de lui ; et, après les soixante années de ce règne immense, il fallait tout l’effort d’un esprit vigoureux pour oser concevoir qu’il existât, avant 1650, une France autre que celle que l’on voyait, une France qui pouvait se conduire par des maximes d’un droit public, et non pas uniquement par les volontés du maître, et chez qui enfin la suprématie des prérogatives royales était énergiquement contre-