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FROISSART.

tage dans la lutte opiniâtre et sanglante qu’ils eurent à soutenir contre la puissante monarchie d’Angleterre, qui nous combattait avec nos meilleures armes. On a vanté la politique et le génie que déploya le sénat romain pour soumettre à son joug de fer les vingt peuples que renfermait l’antique Italie. Il n’en a peut-être pas moins fallu pour fonder avec des élémens si divers l’énergique association que forme le peuple français.

Cela est en réalité l’œuvre des Valois ; mais ils n’en ont pas assez recueilli l’honneur. On dirait que les cris furieux de la ligue contre le dernier de leur race retentissent encore parmi nous. J’ajouterai que l’adulation, la flatterie, le mensonge officiel qui ont constamment prévalu sous la dynastie des Bourbons, les ont injustement agrandis aux dépens de leurs devanciers. Cependant les Valois, il faut le reconnaître, tiennent une place distinguée parmi les races royales. Pendant les deux cent soixante ans qu’ils ont gouverné la France, ils ont énergiquement sympathisé avec leur peuple, et partagé ses idées et ses passions, ses périls et ses malheurs. Aussi étaient-ils singulièrement populaires. Les malheureux sujets de Charles vi avaient encore des pleurs à verser sur leur infortuné maître. Pour les peindre dans les grandes circonstances de leur vie, j’emprunterai quelques traits à Froissart qui les a vus de près, ces véritables pères de la monarchie française. À Crécy, « quand le roi Philippe vint jusque sur la place où les Anglois étoient et il les vit, le sang lui mua, car il les haïssoit. » Le soir, il fallut l’emmener comme par force, du champ de bataille, qu’il quitte, lui cinquième de barons tant seulement. Arrivé devant la porte du châtel de Broye, il s’écrie avec une indicible amertume: Ouvrez, ouvrez, châtelain, c’est l’infortuné roi de France[1]. On sait que le roi Jean, son fils, à Poitiers, fut encore plus malheureux et plus brave. « Il alloit par les champs monté sur un grand blanc coursier, et re-

  1. On croit communément que le mot de Philippe le Valois, fut : Ouvrez, c’est la fortune de la France. C’est une erreur. Tous les manuscrits de Froissart présentent la version, telle que je la cite. Elle est plus simple et plus conforme à l’esprit du temps.