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tive, l’Islande est plus riche qu’aucun pays dans ce genre de traditions. Nous ferons l’inventaire de cette richesse ; nous classerons ces nombreux monumens qui, malgré leur commune dénomination, diffèrent si fortement par le sujet et la nature du récit. Nous rangerons, dans diverses catégories, les sagas épiques qui reproduisent dans leur rédaction en prose et complètent en plusieurs points le cycle de l’Edda et celui des Niebelungen ; les sagas héroïques, qui racontent les destinées pleines de meurtre et d’inceste de quelques familles, dont la célébrité tragique fut semblable à celle qui s’attacha dans la Grèce au nom des Atrides et des Labdacides ; les sagas historiques, qui contiennent tantôt de piquantes biographies d’individus, tantôt de curieuses annales de famille, quelquefois le récit d’événemens mémorables, comme la colonisation ou la conversion de l’Islande, la découverte du Groënland ou celle de l’Amérique, quatre siècles avant Colomb, et qui offrent toujours un tableau fidèle et vivant de l’ancienne vie germanique, des vieilles mœurs du nord ; enfin les sagas romanesques et merveilleuses, où l’on voit les caprices de la fantaisie et les extravagances de la crédulité populaire envahir peu-à-peu et finir par supplanter complètement les majestueuses traditions de la mythologie et les naïfs récits de l’histoire.

Je terminerai en vous faisant connaître quelques-uns des principaux exemples de la poésie lyrique des scaldes. Cette poésie, d’un âge postérieur à celle de l’Edda, n’en a pas la grandeur et la simplicité. Vous serez étonnés, messieurs, d’apprendre que, dès le dixième siècle, l’époque de la décadence et du faux goût avait commencé pour la littérature islandaise. Chose bizarre ! ces pirates de l’Hécla poussaient la haine du mot propre et l’amour de la périphrase bien autrement loin que les précieuses de Molière. C’est une preuve que les raffinemens de la littérature n’attendent pas toujours ceux de la civilisation, et que la barbarie ne préserve pas de la recherche.

En effet ces poètes, qui contournaient si industrieusement leur pensée et leur expression, étaient la plupart des guerriers indomptables, et quelquefois féroces ; et à travers ce tissu ar-