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dans l’esprit, poursuivit-elle en me regardant fixement, et qui m’empêche de faire mal à mon fils.

Ainsi, comme toutes les jeunes mères que j’ai connues, elle disait d’avance mon fils, par un désir inexplicable et une préférence instinctive. Cela me fit sourire malgré moi.

— Vous avez pitié de moi, dit-elle, je le vois bien, allez ! — Vous savez que rien ne peut cuirasser notre pauvre cœur, au point de l’empêcher de bondir, de faire tressaillir tout notre être et de marquer au front nos enfans, pour le moindre de nos désirs.

— Cependant, poursuivit-elle en laissant tomber sa belle tête avec abandon sur sa poitrine, il est de mon devoir d’amener mon enfant jusqu’au jour de sa naissance, qui sera la veille de ma mort. — On ne me laisse sur la terre que pour cela, je ne suis bonne qu’à cela, je ne suis rien que la frêle coquille qui le conserve, et qui sera brisée après qu’il aura vu le jour. Je ne suis pas autre chose ! pas autre chose, monsieur ! — Croyez-vous… (et elle me prit la main), croyez-vous qu’on me laisse au moins quelques bonnes heures, pour le regarder quand il sera né ? — S’ils vont me tuer tout de suite, ce sera bien cruel, n’est-ce pas ? — Eh bien ! si j’ai seulement le temps de l’entendre crier et de l’embrasser tout un jour, je leur pardonnerai, je crois, tant je désire ce moment-là.

Je ne pouvais que lui serrer les mains, je les baisai avec un respect religieux et sans rien dire, crainte de l’interrompre.

Elle se prit à sourire avec toute la grâce d’une jolie femme de vingt-quatre ans, et ses larmes parurent joyeuses un moment.

— Il me semble toujours que vous savez tout, vous. Il me semble qu’il n’y a qu’à dire pourquoi ? et que vous allez répondre, vous. — Pourquoi, dites-moi, une femme est-elle tellement mère qu’elle est moins toute autre chose ? moins amie, moins fille, moins épouse même, et moins vaine, moins délicate, peut-être moins pensante ? — Qu’un enfant qui n’est rien soit tout ? — Que ceux qui vivent soient moins que lui ? c’est injuste, et cela est. Pourquoi cela est-il ? — Je me le reproche.