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éternelle rosée, pour nourrir un autre siècle. Deuil et fête, mort et naissance, rien n’est changé. Sans terreur, sans colère et sans regrets, le royaume de l’art traverse l’ombre de ses morts, et marche avec sérénité à l’encontre de ses destinées et de sa forme nouvelle.

Cette forme, quelle sera-t-elle ? Question qui entraîne avec elle cette autre-ci : Quels sont les élémens politiques de l’Europe actuelle que l’art a épuisés ? quels sont ceux dont il présage l’avènement ? de nos institutions contemporaines, laquelle a assez de durée en soi pour satisfaire à son principe éternel ? C’est-à-dire que nous sommes conduits à nous servir de l’art comme d’un truchement divin, pour demander à des sépulcres vides si le cœur leur bat encore, et à des tombeaux de mille ans pourquoi le soleil d’orient ne fait plus résonner, au matin, la pierre du désert.

En quel état Goëthe laisse-t-il le domaine de la poésie et de l’imagination ? Autour de lui, dans son pays, il ferme cette époque d’harmonie et de repos qui est à la tête de toutes les littératures. Tant que l’Allemagne resta en observation dans l’Europe, et qu’elle se fit des révolutions qui l’entouraient un amusement pour sa fantaisie ; tant que rien de ce qui se passait autour d’elle ne vint à bout de la faire sortir de sa sérénité, l’art, pourvu qu’il fût, de quelque manière qu’il fût, satisfaisait l’état. Comme le pays, dans les questions flagrantes qui se débrouillaient sous ses yeux, ne prenait point encore parti ; qu’au contraire il se laissait pousser par le flot de l’histoire, aveuglément, nonchalamment, il ne demandait pas à l’art de s’engager plus que lui, ni d’en faire plus que lui : c’était une religion à part qui avait son infini et son éternité distincte, de qui on n’exigeait rien, si ce n’est de dominer assez le bruit des affaires contemporaines, pour n’avoir rien à démêler avec elles. Étudiez toutes les créations de cette époque de sang, vous les trouverez toutes entourées d’une auréole de paix, comme ces vierges byzantines que j’ai vues, avec leur gloire d’or, sourire en plein air sur les murailles de leur église battue d’une éternelle tempête. Il arrivait précisément le contraire de ce qui s’était passé dans