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la bonté de votre excellence, dit le soldat, le Maure, après m’avoir conté tout cela, descendit de cheval.

— Attendez-moi ici, camarade, me dit-il, et veuillez bien garder mon cheval, pendant que je m’en vais aller fléchir le genou devant Boabdil.

En même temps il se jeta dans la foule qui se pressait en s’avançant vers le trône.

Qu’y a-t-il à faire en cette occurrence ? pensai-je cependant, lorsque je me trouvai seul ainsi livré à moi-même. Attendrai-je ici que cet infidèle revienne m’emporter encore, Dieu sait où ! sur son démon de cheval ? ou bien ne vaut-il pas mieux, sans perdre de temps, battre en retraite et m’éloigner au plus vite de cette communauté de diables ?

Un soldat a bientôt pris son parti, comme ne l’ignore point votre excellence. Ce cheval appartenait à un ennemi avoué du royaume et de la foi. L’animal était de bonne prise selon les lois de la guerre. M’étant donc hissé de la croupe sur la selle, je tournai les rênes de mon coursier, je lui piquai les flancs avec les étriers moresques, et le fis avancer de mon mieux dans le passage par lequel il était entré. Comme nous passions le long des salles où se tenaient immobiles les escadrons de cavaliers mahométans, il me sembla que j’entendais un cliquetis d’armures, et que des voix murmuraient sourdement. Je pressai mon cheval une seconde fois avec les étriers, ce qui redoubla sa vitesse. J’entendis encore à ce moment derrière moi comme le bruit d’une mêlée qui se précipitait, puis celui des pas de bien des milliers de chevaux ; puis je me trouvai au milieu d’une foule innombrable de cavaliers : j’avais été emporté parmi eux ; avec eux je me sentais lancé hors de l’embouchure de la caverne, tandis que des milliers de figures fantastiques étaient balayés dans toutes les directions par les quatre vents du ciel.

Au milieu du désordre et de la confusion de cette scène, je fus jeté à terre privé de sentiment. Quand je revins à moi, je me trouvai étendu sur le sommet d’une colline, aux pieds du cheval arabe qui se tenait près de moi. Au moment de ma chute, mon bras avait passé dans la bride ; ce qui, je présume, avait