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POÈTES ET ROMANCIERS ANGLAIS.

l’explication du succès de Pelham ; car l’importance d’une classe de la société dans la vie civile ne va jamais sans une importance d’une autre nature. Pour qu’un nom, quel qu’il soit, ne se puisse prononcer dans un salon sans produire une sensation marquée, il faut à coup sûr que la personne qui le porte, joue dans le monde un rôle spécial, qu’elle puisse disposer d’une influence déterminée, qu’elle soit enfin un objet d’admiration ou d’envie.

C’est pourquoi la noblesse de France prise en elle-même, étudiée par un poète qui voudrait surprendre et copier les moindres secrets de sa vie ordinaire et quotidienne, ne suffirait pas à défrayer les mille pages d’un roman. On la verrait faire anti-chambre chez un banquier, solliciter dans les bureaux d’un avocat ministre. Toute sa vie n’est qu’une perpétuelle abdication, mais une abdication sans intérêt et sans majesté, qui ne rappelle en rien celles de Sylla, de Charles-Quint, de Christine ou de Napoléon.

Si M. Bulwer eût cherché à Paris l’équivalent de Henry Pelham, malgré la sagacité particulière qui le distingue, il eût bientôt renoncé à son projet. Pour se convaincre en peu de jours de l’inutilité de ses recherches, il n’aurait eu qu’à prendre les journaux de la semaine ; au lieu d’y lire, comme dans le Court Journal, le récit détaillé d’un bal donné à Windsor ou dans les salons d’Almack, il n’aurait trouvé que deux lignes sèches et inanimées sur le bal des Tuileries ou de l’ambassade anglaise.

Pelham est un livre unique, car l’élégance exclusive qu’il représente n’est pas seulement impossible chez nous. Je ne crois pas que les autres capitales de l’Europe fussent moins embarrassées que Paris pour en fournir le modèle : à Madrid, à Vienne ou à Berlin, l’aristocratie se mêle trop rarement à la classe moyenne pour lui inspirer un intérêt bien vif.

Mais, outre le bonheur et la spécialité du sujet, Pelham est un livre prodigieusement spirituel. Si les comédies de Congreve ne peuvent pas soutenir la comparaison avec les Femmes savantes, il faut reconnaître dans M. Bulwer une finesse et une vivacité dignes d’être opposées, dans quelques pages, à Lesage ou à Beaumarchais. Le héros donne sur sa famille et en particulier