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nous le pouvons : ils n’ont aucun rapport avec les évènemens de notre vie. À peine nous souvenons-nous du vêtement que nous avions, quand la main chérie d’une maîtresse s’appuya pour la première fois sur notre épaule !

La vieille femme, assise vis-à-vis de l’armoire, derrière le poêle, portait une robe à fleurs d’étoffe changeante, sans doute la robe de fiancée de sa feue mère. Son petit-fils, vêtu en mineur, enfant blond, aux yeux étincelans, était assis à ses pieds, et comptait les fleurs de cette robe, et sans doute la vielle femme lui avait déjà fait sur cette robe nombre d’histoires, de belles et de sérieuses histoires, que l’enfant n’oubliera pas certainement de si tôt, qui planeront long-temps sur sa tête, lorsque, bientôt homme fait, il travaillera solitairement dans les carrefours ténébreux de la Caroline ! Il les racontera peut-être à son tour, long-temps après que la bonne grand’mère sera morte, et que lui-même, vieillard aux cheveux d’argent, aux yeux éteints, il sera assis, entouré de ses petits-enfans vis-à-vis de la grande armoire et derrière le poêle.

Je passai toute la nuit à l’auberge de la Couronne, où venait d’arriver de Gœttingue le conseiller aulique B… J’eus le plaisir de présenter mes devoirs à un illustre vieillard. En m’inscrivant dans le livre des étrangers, je trouvai le nom bien cher à mon cœur d’Adalbert de Chamisso, le biographe de l’immortel Pierre Schlemiehl. L’hôte me raconta que ce monsieur était arrivé par un temps effroyable, et qu’il était reparti par un temps pareil.

Le lendemain matin il me fallut encore diminuer mon lest. Je jetai par-dessus le bord ma paire de bottes de rechange ; je levai gaîment les pieds, et je partis pour Gosslar.

Le nom de Gosslar résonne si agréablement, et il s’y rattache tant de vieux souvenirs impériaux, que je m’attendais à trouver une ville imposante et solennelle ; mais il en arrive toujours ainsi quand on vient regarder les célébrités sous le nez !

Je trouvai un misérable nid avec des rues tortueuses et étroites, traversé par quelques gouttes d’eau, qu’on décore du nom de rivière, et qu’on nomme, je crois, la Gose, puis un pavé aussi