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EXCURSION AU BLOCKSBERG.

tamtams, ses éléphans, est un moyen héroïque pour ranimer notre ardeur guerrière endormie, moyen que Platon et Cicéron ont déjà recommandé avec une merveilleuse finesse. Comment autrement expliquer le vacarme que Spontini nous fait chaque soir ?

Tandis que de tels discours volaient çà et là, on ne perdait pas des yeux l’affaire plus importante, et les grands plats chargés de viande et remplis fort loyalement étaient attaqués avec assiduité. Cependant la chère était mauvaise. J’en dis un mot à mon voisin qui me répondit assez impoliment, avec un accent auquel je reconnus un Suisse, que nous autres Allemands, nous ne connaissons pas plus la véritable liberté que la vraie modération. Je haussai les épaules et je lui fis remarquer que partout les mercenaires et les confiseurs sont des Suisses, et que ses compatriotes sont de grands obstacles aux deux vertus qu’il nous recommandait.

L’enfant des Alpes n’avait certainement pas eu une mauvaise intention. « C’était un gros homme, partant un bon homme, » dit Cervantes. Mais mon autre voisin fut très piqué de l’assertion du Suisse ; il s’écria que l’énergie allemande et la simplicité de nos mœurs n’étaient pas encore éteintes, et en démonstration de ceci, il se frappa la poitrine avec force et avala un immense pot de bierre. Le Suisse cherchait à le calmer en disant : « Allons, allons ! » Mais plus il voulait le tranquilliser, plus l’autre se démenait et mettait d’ardeur à vider la vaisselle. C’était un homme de ces temps où la vermine devait vivre dans l’abondance, et les coiffeurs ainsi que les baigneurs mourir de faim et de misère. Vraie face de patriote de 1816[1]. Il portait de grands cheveux épars, une barrette à la chevalière, une jaquette noire, selon l’ancienne forme nationale, une chemise sale que ne cachait pas un gilet, et à son cou pendait un médaillon dans lequel figuraient quelques crins de la queue du cheval de Blücher. J’aime assez à

  1. Époque où Jahn et ses amis prêchaient une nouvelle croisade contre la France et où le patriotisme consistait dans la haine des Français.

    (Le traducteur.)