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lieu des nuages ! » Ils se levèrent en se tenant sous le bras et ils quittèrent cette salle bruyante. Je les suivis de près, et je les vis entrer dans une chambre assez obscure où l’un d’eux, croyant ouvrir la fenêtre, ouvrit une grande armoire pleine d’habits. Je les vis étendre les bras avec enthousiasme, s’embrasser et s’écrier en regardant le fond de l’armoire : « Vents frais de la nuit que vous faites du bien à l’âme ! — Que ces brises agitent doucement ma chevelure ! — Me voici sur la cime nuageuse de la montagne ; à mes pieds sont les populations endormies de plus de vingt cités et là bas étincèlent les eaux bleues des lacs ! — Écoute ! entends-tu le bruit que font les pins dans la vallée ! Là bas sur cette colline, ces images nébuleuses, ne sont-ce pas les esprits de nos pères ? Oh ! si je pouvais traverser avec eux la nuit orageuse sur un cheval de nuages, bondir sur la mer irritée, m’élever à travers les airs jusqu’aux astres ! mais hélas ! je succombe sous le poids d’un corps terrestre et mon âme est enchaînée ! » — L’autre jeune homme avait également étendu les bras vers l’armoire, de grosses larmes coulaient de ses yeux, et s’adressant à une culotte de peau jaune qu’il prenait pour la lune, il lui dit d’une voix pénétrée : « Que tu es belle, fille du ciel ! que ton visage est doux et calme ! Les étoiles suivent à l’ouest tes traces bleues. À ta vue les nuages se réjouissent, et leurs sombres flancs s’éclairent ! Qui t’égale au ciel ! Les étoiles sont honteuses en ta présence, et détournent leurs yeux étincelans. Où fuis-tu, quand ton front pâlit le matin ? As-tu, comme moi, une retraite où tu caches tes douleurs ? Es-tu seule ? Tes sœurs sont-elles tombées du ciel ? Celles qui marchaient joyeusement autour de toi ne sont-elles plus ? Oui ! elles sont tombées, anges déchus ; et toi, lumière divine, tu te caches souvent pour les pleurer ! Déchirez les nuages, ô vents, afin que l’élue de la nuit apparaisse dans son éclat, et que les montagnes ombragées ne soient plus cachées à nos regards ! »

Un honnête convive, qui avait mangé ce soir-là suffisamment pour rassasier six lieutenans des gardes et un enfant innocent, passa en trébuchant, renversa d’une manière fort rude les deux amis élégiaques dans l’armoire, gagna la porte de la maison, et