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navire qui m’attendait et devait me conduire au Mexique. Il n’y avait pas à lutter contre cette inexorable nécessité. Je dus me résigner et faire le jour même mes préparatifs de départ.

Une fois libre de ces soins et privé de la distraction qu’ils m’avaient donnée, je tombai dans une profonde tristesse. J’avais beau me dire qu’en quittant Madrid, je n’avais à rompre aucun de ces liens qu’on ne brise qu’en déchirant deux âmes, en faisant saigner deux cœurs ; vainement je me répétais qu’en partant je ne désespérais personne et que je laisserais à peine à l’amitié quelques regrets ; tous ces sages raisonnemens ne m’étaient point une consolation suffisante, et je ne pouvais m’empêcher d’avoir pitié de moi-même ; je m’estimais au moins bien malheureux d’être contraint de m’éloigner ainsi brusquement et pour toujours, sans doute, de Mercedès, et de perdre aussi soudainement ce bonheur calme et reposé ; ce bonheur si nouveau pour moi que j’avais trouvé près d’elle dans la plus pure et la plus fraternelle intimité.

Plein de ces pénibles pensées, en attendant l’heure à laquelle j’avais l’habitude d’aller faire mes visites à la comtesse, le soir ; souhaitant et redoutant tout à-la-fois que fût venu ce moment qui devait ne me la laisser voir que pour la dernière fois, vers sept heures, je fus me promener au Prado. La foule y était grande, car la chaleur de la journée avait été dévorante, et le vent du nord qui descendait du Guadarrama promettait une belle et fraîche soirée.

Je suivais machinalement la file des promeneurs, tout absorbé dans mes réflexions, lorsque soudain je sentis un bras léger se glisser doucement dans le mien.

Je fus saisi vivement. Rien qu’à son toucher, j’avais reconnu la comtesse. Elle était avec son mari, qui, me confiant sa femme, et me priant de la reconduire après la promenade, nous quitta pour aller entendre la Tosi, au théâtre du prince, dans la Straniera de Bellini.

La comtesse n’était point habituée à marcher, et déjà sans doute quelque peu fatiguée, elle s’appuyait légèrement sur moi. Nous n’étions jamais sortis ensemble qu’en voiture. C’était la première fois qu’il m’arrivait de lui donner le bras ; c’était la