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MŒURS DES AMÉRICAINS.

versé par la réaction des principes. Rien ne pouvait prendre, et de long-temps rien ne pourra tenir, au sein de ce conflit, qu’un gouvernement amphibie, milieu plus ou moins juste entre la monarchie et la république, s’accommodant tout à-la-fois aux habitudes et aux idées de la nation, sans contenter entièrement les unes ni les autres ; gouvernement mobile, inclinant toujours un peu plus vers les idées qui attendent, à mesure que les mœurs avancent, transformant ainsi peu-à-peu les unes par les autres et les rapprochant, destiné par sa mission même à être toujours accusé et toujours nécessaire tant que la contradiction qui l’a créé n’aura pas disparu, et à périr le jour où elle s’évanouira ; gouvernement de tapage et de lutte, pain béni des avocats et des gendarmes, mauvais pour l’art, mauvais pour la science, mauvais pour la philosophie, qui vivent d’unité et de repos, éminemment représentatif du reste, car il représente à merveille la contradiction qui l’a mis au monde ; gouvernement qui est le nôtre, que la force des choses nous donna en 1814 et que la révolution de juillet n’a fait que retourner, mettant du côté de l’avenir sa tête, qui, sous la restauration, était du côté du passé. Combien ce gouvernement durera-t-il, et pendant combien de temps seront impuissantes les tentatives républicaines : qui le sait ? Mais s’il a fallu cent ans pour changer nos idées ; s’il en a fallu cinquante pour faire passer la moitié de nos idées dans nos institutions ; qui oserait croire, qui oserait dire qu’il en faudra moins à nos institutions et à nos idées pour convertir nos habitudes ? nos habitudes qui ne sont pas nôtres comme nos idées, mais qui sont nous. Voilà le vrai secret de la France, la vraie vérité, celle qui répond à tous les faits et qui explique toutes les contradictions, celle qu’il faut dire aux hommes afin qu’ils comprennent les enfans, aux enfans afin qu’ils comprennent les hommes, aux uns et aux autres afin qu’ils s’épargnent et qu’ils s’aiment. Cette vérité, on ne la sait qu’à moitié, parce qu’on ne connaît que ses idées et qu’on ignore ses mœurs. Il faudrait, pour l’apprendre tout entière, que nous fissions tous, grands et petits, un voyage en Amérique. Là nous verrions les mœurs démocratiques telles que la vraie démocratie les fait ; là