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MŒURS DES AMÉRICAINS.

Voilà pour la conclusion générale de son livre ; une autre méprise vient souvent égarer ses jugemens particuliers.

L’ensemble des mœurs américaines dérive du principe de gouvernement qui régit l’Amérique ; et dans le plus grand nombre des cas, il est facile de rapporter logiquement l’un à l’autre. Toutefois on rencontre dans les mœurs américaines un assez grand nombre de détails qui sont tout-à-fait contradictoires aux idées démocratiques. Mistress Trollope prend plaisir à signaler ces détails, et elle les reproche le plus sérieusement du monde aux Américains, comme autant d’inconséquences choquantes. Elle va même quelquefois jusqu’à en conclure que le surplus de leurs habitudes n’est qu’une orgueilleuse affectation de républicanisme, une hypocrisie libérale. Ici, comme il arrive toujours, mistress Trollope est injuste parce qu’elle manque de lumières. Quelque influence qu’exerce sur les mœurs d’une nation l’institution politique qui la régit, elle ne les produit pas à elle seule. Il est d’autres causes qu’elle n’étouffe point, et qui concourent avec elle. Elle n’abolit pas les lois éternelles de la nature humaine qui sont antérieures à toutes les formes de gouvernement, et qui survivent à toutes ; elle ne supprime ni le climat, ni la position géographique, ni l’influence plus ou moins civilisante, attachée à telle ou telle manière de vivre ; elle n’extirpe pas même entièrement toutes les vieilles habitudes, tous les vieux préjugés contraires à son esprit, qui ont pu s’implanter dans la nation avant son avènement, et que le temps a transformés en articles de foi. On n’explique jamais rien, et les mœurs d’une nation moins que toute autre chose, par un seul principe ; les affaires de ce monde ne sont pas si simples. Toutes ces causes et beaucoup d’autres agissent sur les habitudes d’un peuple en même temps que l’institution politique, et comme elle, y produisent leurs effets. Qu’il arrive que ces effets ne soient point en harmonie avec l’institution politique, cela peut être ; qu’on remarque et qu’on fasse remarquer la contradiction, j’y consens : mais qu’on qualifie cette contradiction d’inconséquence, c’est ce que je ne puis admettre. Ces effets ne sauraient être conséquens au principe politique, puisqu’ils