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DU ROMAN INTIME.

mes délices, je l’ai lu et relu nuit et jour. Dieu me le pardonnera, je l’espère, puisque je m’en accuse sans détour ; mais à chaque ligne je substituais ton nom au sien ! Oui, ma vocation, l’objet de ma vie, était sans doute de t’aimer, et ce qui me le fait croire, c’est que rien de ce que j’ai fait pour t’en donner des preuves n’excite en mon âme le moindre remords. »

Nous avons entendu quelques personnes, d’un esprit judicieux, reprocher à mademoiselle de Liron de la seconde moitié de n’être plus mademoiselle de Liron de la première, et de s’être modifiée, platonisée, vaporisée en quelque sorte, grâce à son anévrisme, de façon à ne plus nous offrir la même personne que nous connaissions pour pétrir si gracieusement la pâtisserie et pour avoir eu un amant. Ce reproche ne nous a paru nullement fondé. Le changement qui nous apparaît chez mademoiselle de Liron, à mesure que nous lisons mieux dans son cœur et que sa bonne santé s’altère, n’est pas plus difficile à concevoir que tant de changemens à nous connus, développés dans des natures de femmes par une rapide invasion de l’amour. Les indifférens du monde en sont quittes pour s’écrier, d’un air de surprise, comme les lecteurs assez indifférens dont il s’agit : « Ma foi ! qui jamais aurait dit cela ? » Et pourtant dans l’histoire de mademoiselle de Liron, comme dans la vie habituelle, cela arrive, cela est, et il faut bien le croire. Quant à la circonstance de récidive et à l’objection d’avoir déjà eu un amant, je ne m’en embarrasse pas davantage, ou plutôt je ne craindrai pas d’avouer que c’est un des points les mieux observés, selon moi, et les plus conformes à l’expérience un peu fine du cœur. Toute femme organisée pour aimer, toute femme non coquette et capable de passion (il y en a peu, surtout en ces pays) est susceptible d’un second amour, si le premier a éclaté en elle de bonne heure. Le premier amour, celui de dix-huit ans, par exemple, en le supposant aussi vif et aussi avancé que possible, en l’environnant des combinaisons les plus favorables à son cours, ne se prolonge jamais jusqu’à vingt-quatre ans ; et il se trouve-là un intervalle, un sommeil du cœur, entrecoupé d’élancemens vers