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LETTRES PHILOSOPHIQUES.

du dix-septième siècle, l’Europe ensanglantée, lasse, soupirait après le repos, et les écrivains fomentaient, en le reproduisant, ce désir de la paix. L’abbé de Saint-Pierre insistait sur le projet d’une paix perpétuelle, et d’une espèce de parlement de l’Europe, qu’il appela la diète européenne. Mais celui qui s’éleva le plus puissamment contre la guerre fut Fénelon ; il se considérait parmi les hommes comme un ange de paix, de réforme et de miséricorde ; il travaillait à leur inspirer des pensées douces, des intentions bienveillantes et pacifiques ; il amollissait le cœur des rois ; il conjurait les nations de ne plus s’exaspérer les unes contre les autres ; sa voix fut entendue, et la société française se précipita dans le repos avec avidité, oubliant même les délicatesses de l’honneur national cruellement froissées par le prêtre qui menait la régence, tant après Louis xiv, on avait hâte de se tranquilliser, de se distraire, de jouir des plaisirs de la vie et de l’indépendance de l’esprit.

D’Alembert a dit quelque part que le vœu de son siècle était l’agriculture et la paix ; la guerre n’était réellement alors que l’auxiliaire de quelques combinaisons diplomatiques, et se rapportait rarement aux intérêts de la sociabilité. Votre pays seul, monsieur, avait besoin des armes pour se constituer, et Frédéric, conquérant utile, a solidement assis la monarchie prussienne. Voilà ce qui explique la disposition unanime des philosophes français à réprouver la guerre d’une manière absolue. De nos jours, aussi, ce problème a occupé quelques penseurs : De Maistre et Hegel l’ont roulé dans leur tête puissamment ; le philosophe catholique, au spectacle de la révolution vaincue, s’exalte et glorifie le Dieu des armées. Quand il écrivit les Soirées de Saint-Pétersbourg ; son dernier ouvrage, le génie du siècle semblait altéré, respirant à peine sous le joug amphyctionique de la diplomatie ; voilà quel était pour lui le fructus belli. Il ne s’enthousiasmait pas de la guerre, parce qu’elle avait délivré l’Allemagne de notre injuste supériorité, affranchi les peuples ; le fond de sa pensée est autre : la guerre n’a tant d’attraits à ses yeux que parce que la victoire a déserté les drapeaux de la révolution française, et il la nomme divine, parce qu’il la