Page:Revue des Deux Mondes - 1832 - tome 7.djvu/560

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
556
REVUE DES DEUX MONDES.

L’auteur inconnu de Girard de Vienne a mis en tête de ce roman un prologue très curieux et très développé, dont je me borne à extraire cinq ou six vers, que je traduis en les résumant.

« Vous avez souvent entendu chanter du duc Girard de Vienne au cœur hardi. Mais ces chanteurs qui vous en ont chanté, en ont oublié le meilleur ; car ils ne savent pas l’histoire que j’ai vue. »

Dans tous ces passages, on voit des romanciers qui, réduits à traiter de nouveau des sujets déjà traités par leurs devanciers, et voulant concilier de leur mieux à des fictions nouvelles une apparence d’autorité historique, sont comme obligés de donner un démenti aux fictions déjà en vogue sur ces mêmes sujets. — Ce n’est jamais comme ennuyeuses ou comme folles, qu’ils signalent ces fictions ; c’est toujours comme contraires à la vérité historique. Ils appellent nouveaux jongleurs les romanciers antérieurs à eux, parce qu’ils supposent que ces romanciers ont négligé ou défiguré à dessein ces vieilles histoires, qu’ils prétendent, eux, avoir consultées et suivies. — C’est à ce titre qu’ils réclament les honneurs et les droits de l’ancienneté.

Ce n’est point, vous le prévoyez bien, messieurs, ce n’est point dans la vue de décider lesquels de ces romanciers, qui se contredisent et se démentent réciproquement, se sont le plus rapprochés de l’histoire traditionnelle ou de l’histoire écrite, que j’ai fait ces observations. J’en veux conclure quelque chose de plus clair et de plus important : c’est qu’un grand nombre des romans du cycle carlovingien qui se sont conservés jusqu’à nous ne sont qu’une rédaction, qu’une forme nouvelle de romans plus anciens sur les mêmes personnages ou les mêmes événemens. C’est que les mêmes points des traditions carlovingiennes ont successivement donné lieu à divers romans où ces traditions ont été exploitées d’une manière différente, surchargées de nouveaux accessoires, reproduites sous des traits nouveaux. À l’appui de cette conséquence, il y a un fait matériel que j’ai déjà eu l’occasion de noter : c’est que nous avons encore quelques-unes de ces différentes versions du même argument romanesque ; j’ai parlé des trois différens romans qui existent sur